Je m’offre le plaisir de me faire plaisir.
« L'écriture, c'est le coeur qui éclate en silence* », me rappelleChristian Bobin, * L'épuisement. La patience, toujours sur le qui-vive, convoque l’espoir. L’aléatoire surplombe les ecchymoses du temps. Dans le sommeil de mes os, quelqu’un tâtonne l’instant que le présent ventile. L’avancée étrange d’un silence abstrait colore la vie de vertiges oppressés. Otage des leurres qui m’empoisonnent, je serre sur ma poitrine les orties de mes cauchemars. Je suis une goutte d’eau dans le vent. Je m’essuie à la brûlure de l’air abrasif. Je respire des caves où le vin a été bu. Une fève oubliée germe discrètement sous le feu qui s’éteint. Je meurs dans mon sang comme d’autres y puisent ce qui s’écrit entre les lignes. Mon corps infuse dans le sacrement de ses rêves étouffés. Je suis l’endurance d’une énergie sauvage.
Une mort partielle me parle de métamorphose. Une vie lointaine, presque inaccessible, déroule sa mue comme un tapis absorbant. Partout, l’avenir semble confesser ses heures anciennes. Le présent s’attache aux plaies mentales et se libère des émotions contraires. La perte n’est plus qu’un obstacle parmi les autres. Avant, c’était avant. La vérité immédiate prend le pas sur le pied que je n’ai plus. Le fardeau, s’il en est un, se résume au voyage qui me transporte, puis me transfère d’une appréciation du monde extérieur à celui des évanescences intérieures. Ou l’inverse, je ne sais plus. Mes yeux, les mêmes, semblables en tout point à ceux que j’ai toujours portés sur mon visage, ne regardent plus de la même manière. A ciel ouvert, le voyage traduit par l’handicap, ne cesse de conquérir d’autres sources et d’autres terres.
Depuis que tu es assis sur ton fauteuil, inactif et plongé dans tes pensées, tu as pris beaucoup de poids, me fait-on remarquer malicieusement. Oui, tu as raison. Nos différences nous séparent et donnent raison à l’apparence physique, m’empressai-je de répondre. Le surplus de kilos que tu vois, c’est le témoignage visuel de ma misère ensevelie et elle pèse plus d’un nuage. Sans doute, reviendrais-je à mon poids de forme lorsque j’aurais retrouvé l’aisance naturelle de vivre. Quand on aime la bonne chère, l’appréciation du palais devient vite une compensation excessive. En attendant mieux, je m’offre le plaisir de me faire plaisir. Je conserve la force de vivre jusqu’au bout de mes larmes. Je vais à la rencontre d’un autre que moi, tout en demeurant ce même, autrement.
- Bruno Odile - Tous droits réservés ©