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Bruno ODILE
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27 septembre 2014

Une âme est née dans mon corps.

images23P52S3ENos corps sont les témoins de l’eau fuyante et des caresses indomptées. La vie se confronte toujours à l’invisible, à la nudité des émotions qui se diffusent au-delà de nous-mêmes. Nous sommes des êtres de grêles et de gelures. Le froid est la dimension d’origine, la brûlure ne vient qu’après. D’abord engloutis dans la glace, nous émergeons à la lumière du soleil qu’après de multiples tentatives. Ce n’est qu’arrachés de la peau de nos rêves qu’il est possible d’accéder au réel. Malgré que la réalité soit elle-même déjà en partie dépecée de sa matérialité, elle éclaire les mots d’amour rafistolés. Nous la touchons toujours un peu avec l’appréhension de la déroute qui nous laisse dépourvus de toute acuité. Je ne pleure pas sur mon sort, c’est lui qui achève ma curiosité et mes investigations permanentes. Malgré moi, je m’effondre dans chaque reflet où tu apparais. Paradoxalement ma liberté devient mon désir. C’est parce que je te désire plus que tout que je ressens cette légèreté inégalable. Mon désir dure, s’enflamme, s’auto manipule, se détruit puis meurt avant de se renouveler. Peu à peu, je me métamorphose, je deviens ce marteau qui frappe sous la pluie, cette faux qui scalpe le vide. Je suis l’ombre tapie sous ma langue. Derrière l’enceinte surpeuplée de mes songes, un couteau sans lame flotte sur les vagues de la dérision.

Parfois, je touche presque l'illusion de mener une vie solitaire. Cependant, cela serait trop me hausser du col ; ma grotte ne ressemble pas à celle d’un ermite, et les dérélictions, les apoplexies y sont une démangeaison permanente autant qu’insoutenable. Mais quoi ! Ne parle-t-on jamais mieux de ce qui se refuse à nous tandis qu'on y aspire ? Tu sais, ma solitude n'est pas l’isolement pur. Elle est le chemin sinueux qui me reconduit vers le silence du premier jour.

Des étincelles de souvenirs reviennent balayer l’obscurité jonchée derrière mes paupières. J’y vois maintenant d’innombrables images, un défilé continu de paysages suintant des brèches de notre volcan ancien, des reliefs d’histoires vécues. Une d’entre elles retient mon attention plus que toutes les autres et elle défile dans ma pensée : 

 - Le soleil est brûlant, nous sommes enfermés dans cette sieste d’été où jadis nos parents nous cloîtraient pour s’accorder quelques répits, comme le disent les adultes. Allongés côte à côte, parlant à voix basses et feignant de dormir, nos petites voix précédaient des rires qui nous échappaient malgré l’appréhension d’être découverts éveillés. Nous apprenions à nous parler à voix basse, la bouche collée sur l’oreille et nous éprouvions des frissons par les souffles chauds qui caressaient le creux de nos orifices. Et puis, il y avait aussi ces moments de haltes douces où, de nos doigts tendus comme des crayons, nous nous écrivions dans le dos des mots à deviner lettre par lettre. L’atmosphère était calme. La pénombre dominante. Nos sourires affidés illuminaient l’air. Nos corps étaient posés dans la proximité des nuages onctueux que nous faisions naître dans cette bulle protectrice. Nous aurions pu nous endormir avec ses bonheurs complices et rêver à des histoires grandissantes. Mais non, nous restions éveillés cherchant dans la démonstration de l’autre, la joie libératrice que cette castration momentanée et disciplinée par l’autorité parentale procurait à nos sens. Nous bravions l’astreinte puisqu’elle nous offrait à l’exubérance pure. Nous adaptions la contrainte par le jeu, nous nous installions ainsi dans le spectacle de notre confort complice oubliant ce qui nous était ordonné. 

Tu vois, aujourd’hui encore, c’est dans cet espace comprimé et soyeux que nous confluons.

Nos rassemblements les plus fertiles s’accomplissent toujours dans cet écartèlement où je recouds avec patience les déchirures invisibles des racines de notre amour. Partout n’est qu’un faux sommeil où nos cœurs s’épuisent. Mon grenier à mirages féconde le brouillard dans lequel nous nous perdons. Ta mort n’y change rien. Ton absence, non plus. Ma vie se raccorde à la tienne comme une feuille à un cahier. Et c’est en contournant l’obscurité de ton silence que j’évite de me briser sur le souffle encore tiède des mots qui t’énoncent. Je vais flâner dans cette mémoire tendre pour y cueillir de vieilles parts d’ivresse, auxquelles, en les ressuscitant, je m’accorde la joie de l’instant. Ainsi, j’assouvis parfois la part manquante de ton amour avec la fascination de l’illusion qui accompagne les grands sentiments. Ainsi, j’extermine la carence éprouvée avec d’intarissables volutes complaisantes.

Mais la tendresse est mutilée par la défaite. Ton corps est absent. La caresse ancienne est plantée dans une clairière en plein jour, elle poursuit du bout des doigts notre ruisseau de sang resté à fleur d’étoiles. Elle guide le parfum des peaux à la virgule du soupir. Elle reconduit tout doucement l’affliction douloureuse à l’extrémité du noir.

Je vis des rêves asséchés, il n’y a plus d’eau sous mon lit. Tu viens boire à la commissure de mes paupières, mais je n’ai rien d’autre à te proposer qu’un vin sans délice. Il ne me reste qu’une tache rouge qui se répand aux quatre coins de l’horizon. J’ai jeté hors de moi le poids insupportable du temps qui nous entame comme de la sueur sur une plaie vive. Je prends ta main sous le manteau de la nuit native où se berce le noir prélude des chœurs déchus d’harmonies. Toutes mes prières sont tombées de leur duvet blanc. Nos peaux sont des sirènes ensevelies par les vagues turbulentes du regret et de la contrariété. Cela me pique le cœur comme une pointe de givre plantée sur une brûlure.

J’oublie parfois l’air que je respire comme je néglige la parole du vent. Des moulins de blé enfarinent l’air où tu n’es plus. Une croûte d’eau et de plumes recouvre ton visage. Je ne te vois qu’en cocotte de vapeurs. Il me faut essorer les grilles qui entourent l’ennui. Il me faut sourire aux ténèbres et préserver une main libre pour dénouer mon cœur du nœud invisible qui l’étouffe.

A quoi ça sert d’aimer ainsi ? Je ne veux plus partir vers l’extrémité de mes sens. Couché sous la pluie, mon cœur se répare, s’apaise et reprend confiance. Sur le bord de la fosse, la terre reconnaît l’os de nos serments dans sa bouche. Un peu plus loin, persiste un feu silencieux que personne n’éteint. Ton absence fracture l’haleine vive des amours mortes. Je ne veux plus de cet œil qui regarde et ne se voit pas. Mon amour, c’est l’obstacle et le passage, la certitude et la brèche. C’est aussi la pierre qui bâtit les cathédrales et qui dresse les murailles. Je suis perdu dans les coulures de ta peau. Je ruisselle comme la passoire des heures fatiguées. Aujourd’hui, même le paysage s’est couché au pied de la colline dans un charroi de phrases chaotiques. J’ai sous les yeux la fracture aiguisée d’une lueur éternelle.

L’aube s’est repue aux tempes du jour de peine. Elle se renouvelle sous sa jupe de lumière. La mémoire balbutie sur la pointe des pieds un murmure doux comme une fontaine clapotant au loin, un soir d’été, calme, où la chaleur pèse sur les murs. L’heure chancelle. L’instant moelleux et sans forme apparente est propice aux sutures qui pommadent toutes cicatrices. La nuit va bientôt mourir et le cœur engourdi prend racine dans le frêle retentissement des échos nocturnes restés suspendus aux voiles des brumes épaisses. A l’interstice des rêves pas tout à fait terminés, pas tout à fait oubliés, l’histoire de soi dépossédée de toute détermination s’en retourne dans les cachots de l’ego.

La vie s’en va poser le temps éculé hors de ses frontières. Puis elle revient le visage allégé des petits riens incantatoires. Elle réapprend sans cesse les moyens de sa survie. Mon cœur affligé préserve de la mémoire meurtrie l’éclat de sa saignée. 

A cette heure de l’extrême où la nuit termine de postillonner son brouillard de baves noires et où le jour n’a pas encore dévoilé son ampleur, j’habite ce lieu sans encombre où la vie ressemble à s’y méprendre aux berceaux des échouages. Mes yeux, comme des fenêtres imaginaires, s’écarquillent des futailles qui les animent. Ils se repeuplent à chaque réveil du souvenir réconcilié avec les bannissements clandestins. Et solitaire dans ma chair, je me transforme par l’air que j’avale. Je recrache énergiquement ce que la rosée infeste, pourvoit et brandit comme une flamme défaite du lampion qui la portait.

L’inachevé m’a toujours fait penser à cette sentence populaire : « Quand la maison est finie, adieu le maître ». Ce qui est inaccompli berce le déroulé partiel des mots, c’est un sommeil de sauvegarde. Les yeux se ferment sur le cloître de l’existence. La parodie des joies et des misères taillent l’échancrure de ce qui est resté captif dans la nuit de frissons. L’invisible se gorge d’indéchiffrables murmures. Dans des profondeurs sans mesure se construisent des églises encore grumeleuses régurgitant le monde depuis sa naissance. Nous dormons, nous veillons l'un sur l'autre et au cœur du rêve des caveaux s’entrouvrent sur des siècles en perpétuels mouvements. Chaque ronflement d’air est un legs de la chair et du souffle demeurés inapprivoisés ; chaque blancheur est une mimique exténuée. De ces dénouements sans fin, l’inachevé rampe dans la proximité du réel qui n’est plus désiré. Il exalte le possible, excite les membranes des nuits capricieuses et laisse le sommeil se rapprocher de la mort incandescente où tout se brûle dans de l’oubli tenu en échec.  

Ma veille se révèle dans l’illusion comme une promesse inavouée et je creuse les ténèbres pour te refaire vivre. Je trésaille du souvenir vivant et j’ai l’ambition de me livrer plus que de te prendre. Je te surveille comme une dormeuse sans rive, gardienne de mes seuils incantatoires où je t’ausculte de ce que je deviens. 

Rien ne pèse jamais autant qu’une conscience. Chaque déchirement vécu nous oblige à brosser puis à raser la tignasse des rêves. Chaque rupture rend compte de la faille que l’on transporte avec soi comme un abysse. Il y a au fond du noir minéral une lumière perlée prête à s’envoler. Mais, rien ne demeure longtemps debout dans un cœur vide. L’équilibre de la beauté nécessite l’ardeur des flammes sans cesse renouvelées. Tout ce qui s’effondre dans l’ombre tient lieu de sacrement pour la droiture rompue. Ce n’est qu’un peu plus tard, dans l’ombre repue, que tout repousse spontanément et que l’herbe nouvelle reste drue malgré le vent.

Le hasard est un fumigène. Le hasard est une providence aveuglante.

Le présent est le lieu où se forge l'oubli.

Dans nos peaux déjà trop mastiquées, nos consciences pleurent la perte que nos sens recousent à la permanence. Nous sommes toujours seuls de quelque chose ou de quelqu’un. Notre misère et notre bonne foi complotent ensemble le silence qui nous ressemble.

L’absence de l’autre, ce fruit glacé sous la langue, n’est autre que le blanc de l’infini où gèle la mémoire. Ne plus te voir, là vivante, à mes côtés, me ramène inexorablement à mon gouffre, à cet air dégoûté qui se brûle lui-même. 

J’ai peut-être peur d’hier. Ou bien de trop mourir sur l’heure passante. J’ai la sensation d’être coincé entre la grande aiguille et la petite lorsque sonne minuit. Anxieux, je redoute le silence entre les jours et celui du temps un peu trop grand.

Alors, je reste à attendre, accoudé à l’ombre plus qu’à la surface de la lumière où je fléchis.

Rien ne se ferme tout à fait, je veille. Tout brûle et s’emballe au détriment de l’heure perdue.

Encore ce soir, je le sais, il ne fera plus jamais nuit. J’ouvre la fenêtre et ma vie se couche sous mon front. J’entends les frissons du vent. Derrière la balustrade, les galets se cognent. La mer s’étend à perte de vue, elle se perd sur l’ardoise des solitudes égorgées. L’air frétille et l’haleine des vagues remplit mon panier d’osier. Il y a des rivages où l’on s’enfonce comme dans du sable mouvant. Il y a des souffles qui crissent au pied de la dernière vague et puis ces grains de sable restés sous la chemise. Mon radeau est un coquillage, une enflure sous-marine, une grâce perdue dans les profondeurs. Et je mange aux pas laissés derrière toi.

L’étonnement est ce vertige qui afflue dans mon sang nostalgique. Je chaloupe avec lui.

Je veux être un enfant, comme avant. Pas une machine à exister, pas un poème à relire ou mille et une nuits de désespoir. J’existe machinalement. Je suis le trajet entre une gare et un hôpital, je suis un chemin de flaques sur le bord des trottoirs cabossés, un chemin de cueillettes sous un ciel malade. J’écope la disette à l’engrenage des jours renouant avec les utopies lointaines. Le rien, le vide et l’absence. Puis, je renais par le mouvement où tout secoue mon regard. Les lésions et les perfusions recouvrent notre lien, sans le définir. Je suis fendu par l'essence des choses, j’attends sous l’aile brisée de l’absence que cesse le vertige.

J’ai l’impression d’être taraudé de l’intérieur, d’être cloué sur un mur où l’on dépose un tableau, puis un miroir, puis une veste sur le portemanteau du néant. 

Mes certitudes ont des crampes. Je viens à toi, touché, battu, moissonné, presque à l'exil. Je veux partir, mais je reviens. Je veux partir, je veux retrouver ce que j’ai quitté par la force des choses. Je veux retourner à l’heure où nous étions ensemble et redécouvrir encore les routes mille fois empruntées. J’ai eu besoin de dizaines de jours, de mois et d’années pour sécher mes larmes amères et lancinantes sur l’étendoir du désordre, dans l’atelier de la brise   rouillée. Le souvenir a copieusement suinté de sa propre passivité. Il a trempé dans le sans-issue des douceurs aux champs clos et je me suis senti ravagé, dévasté par ce cœur en bandoulière aux pas légers. J’ai longtemps été un lance-pierre sans cible, une arbalète où la plume remplace la flèche.

Dans ce prélude circonstanciel, j’avance vers toi comme un refrain langoureux. Une aubade d’amour s’écoule telle une fuite d’heures dans une impasse de temps étrillé. J’espère que tu accepteras de m’accompagner et de crapahuter entre ces lignes singulières. Essayons ensemble de transgresser la réalité inconsistante et infatuée. Nous devons consentir à ce qui nous est arrivé et le faire nôtre. Ta mort est tout à la fois le départ et le commencement de notre histoire. Révélons-nous, réveillons-nous et creusons l’aveugle sillon du temps.

Le noir de la terre sillonne l’aube qui doucement se hisse. L’heure est fatiguée, elle manque de sommeil. Une première lueur s’est posée sur ta joue où danse sur de la boue un pitre en demi-teinte. Le jour se lève, il a les lèvres froncées par le recueillement des arbres qui l’accueillent. La nuit ne s’est pas encore démaquillée. De la buée transparente glisse sur le bord de ses pieds. Une ronde pelure blanche veille au-dessus des marais. Tes mains bâillent au réveil des vagues qui t’atteignent. Je suis attaché à un tesson de verre perdu sur le sable. Un rayon de soleil naît de tes lèvres et je sens germer une loupe dans mon cœur. 

Aujourd’hui, dans mon sang, j’interdis ton silence. L’absence lointaine donne toute sa vigueur à ton nouveau visage recouvert d’ondées mutantes. Chaque jour prend le temps de sortir de sa peine. Nous suivons sagement sa trame dans sa volière de blanc. Et puis, c’est la pleine lumière, le bleu intarissable embourbé de rêves qui tambourinent dans nos poitrines. C’est toujours le moment que tu choisis pour replonger dans les chemins de l’ombre. Derrière la porte, un pavot grimpe à l’obscurité. Le vert tremble comme une feuille de térébenthine. Mes larmes sont de la sève gorgée de sucre. Elles s’enduisent d’air pour mieux s’acquitter du repas de la blancheur. 

 

Extrait de : L’Amour, ce désastre indispensable. Pau le 26/09/2014.

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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