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Bruno ODILE
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Bruno ODILE
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13 février 2015

Je souffre, tu souffres, nous souffrons...

6973282_dsc08459L’accident, cet imprévu désoeuvré, a grignoté l’espace déterminé faisant face aux étendues démesurées. Quelque chose s’est dérobé. La connaissance que j’avais de moi jusqu’à lors cède la place à la non reconnaissance de l’altérité.A présent, une dissonance ordonne les mailles du filet qui me maintenaient dans la proximité de la norme. J’appréhende les lignes du compas traçant les cercles de la représentation commune à chaque individu. Les ronds d’air se chahutent et sont dans la discorde. Nanti, je l’étais précédemment par volontarisme, aujourd’hui, je le suis de fait. Mes proches et mes amis refusent de tenir compte de la différence notable de mon aspect physique. Ils témoignent tous de me voir inchangé. Ils réfutent mon handicap : « Je te vois comme tout le monde, j’oublie très vite que tu es sur un fauteuil», me disent-ils. 

Il n’en est rien, et je dois m’accoutumer à la peur improvisée et suscitée dans le regard des autres. Je sais qu’inconsciemment leur gentillesse cache l’image de la mort et de la décrépitude. Cela devient une barrière à la réalité et mon intimité s’en offusque. Reclus derrière les apparences de la conformité, je dénote de la version imprimée sur les regards communs. Je me déplume dans les fragments d’une lumière incisive. Je cherche dans ma mémoire, les dessins devenus inabordables par la parole. Hors de toute clarté, ma présence est un étirement incontrôlable. 

Et puis, il y a le dégoût. L’émotion causée par un désagrément provoque la nausée. Ecrasé par le désert et l’inclassable, mon corps miroite pour rien dans une marche d’imposture. Il s’agit ici de la relation que la matière préserve avec le monde. Toujours soucieux de dissimuler nos chairs sanguinolentes, nos excréments et nos défauts entretiennent le rapport subtil que l’on a avec le non-dit.

Présentable ou pas, la réalité ne nous protège pas de l’insupportable vision de l’abject. Je n’ignore pas les organes qui me constituent : tripes, intestins et autres bouts d’entrailles désagréables à voir à l’air libre. Mais dans le quotidien, je les oublie sciemment et contourne volontiers leurs images répugnantes. J’admets plus facilement tout ce qui m’apparaît soigné et décent à contempler. Le dégoût me structure de la même manière que certaines œuvres d’art m’extirpent de la fadaise d’un réel monotone. Jongleur au théâtre de la réalité, ce qui m’est désirable ne provoque aucune répulsion. La vérité est jugement et non réalité. L’handicap de mon corps se porte haut sur le fronton de l’égalité. Le corps n’est jamais en retrait, à l’inverse, il est l’expression permanente et je baigne dans l’hygiène corporelle de ma culture. Quel monde pourrais-je construire sur la déjection du noir ?

Tout au bout de ma plume, un oiseau plane au-dessus du vertige. Ma lecture du monde se fait à partir d’un lieu de transhumance. Je quitte une lune pour accéder à un astéroïde. Je balance dans l’espace intersidéral sans besogne attachée au cou. Je n’habite plus nulle part autrement que par intermittence. Ma langue naturelle parle du feu et de la mémoire de la cire. J’ai d’abord cru que j’étais un cintre suspendu aux étoiles, puis je me suis rendu compte que la penderie occupée était une infime particule dans tout l’univers. Tout ce qui dépasse mon entendement me renchérit de ce que je crois savoir. La vérité est courageuse dans l’intime fourbis des griefs dont j’accuse mon existence.

Au bout de l’heure tragique, dans un côte à côte essoufflé, j’ai perdu le contrôle de ma vitesse intérieure. Je me suis abandonné à l’hégémonie de l’expiration et elle m’a percuté de sa lame tranchante. Je transporte un tombeau vide, la défection et la désertion s’ouvrent au chemin sans fin. Tous les déserts connaissent la foudre où s’agite l’inadéquat. L’ombre solitaire ignore les visages qui se tournent.  

La pensée n’en finit pas de s’agiter. Même amputée, écorchée, mutilée, elle persiste à nourrir les heures gluantes de tristesse. Je dors dans la vase haletante, dans les hautbois désertés par le souffle. Le ressentiment est contagieux, il se déploie sur tout ce qui bouge. Je suis persécuté par la persécution des amertumes stériles. J’avorte d’un jour comateux où l’enfance est la seule capable de traverser les brouillards. Je veux rester en éveil, curieux des forces invisibles révélées par la difficulté. Attentif à l’énigme qui parcourt le corps humain lorsque ses actes s’enchaînent aux émotions ressenties.

Le jour dans le jour, la vie dans la vie, une autre existence remet des chants dans les champs. Un rêve veuf de toutes prérogatives exerce toujours son grésillement sur l’essaim d’ignorance. C’est un vide agonisant dans la poitrine errante du cauchemar. Sans le feu de mon âme, je suis en pleine lumière au cœur d’une tombe sans corps. Je souffre, tu souffres, nous souffrons tous d’un périple qui ne s’est pas résumé, d’une ablation incertaine et floue nous désarçonnant en plein galop. Corps d’éphèbe avarié par l’occulte synthèse des profanateurs faisant rimer opinions avec conditions. Une étoile de neige fond sur la dysharmonie. Je me dessoude de l’imposture tant les constellations se sont substituées aux symboles sauvages qui nous habitent.  

La différence n’est pas toujours là où on le croit. Etonnant, ce corps qui vieillit et dont on conserve la sensation d’avoir toujours vingt ans. Surprenant, cette cathédrale de la voix illuminant un lieu perdu au cœur d’une portée chromatique. La diversification de l’existence n’en finit pas de se modeler et de se remodeler à l’infini. Le corps bouge, changeant d’aspect et non de forme. Le corps-modèle référence du tout établi. Le corps-multiplié, véritable initiateur de la particularité, de la spécificité. La dissemblance est un pays où se délient les langues fracturées sur une terre fraternelle. La distance infranchissable n’existe qu’au bas du rideau séparant le noir de la lumière.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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Commentaires
A
Certainement, la différence existe, mais, je peux en témoigner, l'autre ne la vois plus, peut-être (c'est cruel) parce que le regard passe au delà. Pour celui qui se sent différent ce peut être un plus dans le cheminement vers l'individuation. Amitiés.
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