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Bruno ODILE
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2 mars 2015

Crache et crie !

Oil_font_b_Painting_b_font_Sexy_Art_font_b_NAKED_b_font_font_b_WOMANCrache et crie ! Voici les cendres de mes humeurs, des tourbillons grimés par les naseaux de l’aube. La tempête est matinale, déjà des étoiles s’enfument et le ciel change de couleur. La mémoire est trompeuse et la fiction débonnaire. Des gouffres de désirs se brisent dans les heures de brouillard. Des brasses et des brasses pour rejoindre la rive et puis des noyades et des naufrages. J’arrive de là-bas, là où il n’y a rien. Des îles désertes, des sols argileux, des passerelles toujours ouvertes. Je suis là, debout, sur l’espoir d’un paradis possible. Trop de cyclones perturbent le soleil mais la nuit, comme un royaume à l’autre bout du monde, nous offre ses danses et ses vertiges.

Rien ne finit jamais, la mémoire au fond, la vraie, la solitaire, n’est qu’un souvenir érodé, une page d’écriture à demi-brûlée. Un jour, c’est le début ; un jour, c’est la fin. Entre cette parenthèse, il nous reste le hurlement silencieux révoquant les heures mal tournées. Alors, oui ! Crache et crie ! Exulte ! Dans le fond du tiroir, des miettes anciennes attirent les insectes, de minuscules insectes dévorant jusqu’au détail d’un souvenir. Tu ne te souviens plus des chansons que je fredonnais pour appeler ton sommeil de nourrisson. Et puis, qu’importe ! Quelques mélodies me reviennent par moment et toute la beauté musicale resplendit pour moi seul. Du premier cri au dernier souffle, nous communiquons pour renverser les figures de nos démons intérieurs. Tout le vivant se renouvelle sans cesse, la filiation avec la respiration nous contraint à faire travailler nos poumons jusqu’à l’apnée providentielle. Il nous faudra sentir et connaître l’émotion pour penser.

Qui te retient ? Qui t’appelle ? L’exode est continu pour les chemins dispersés. Nos voix courent dans le vent et des esquilles dans la chair recherchent l’évidence des petites douleurs. De vieilles musiques ruissellent sous nos peaux : celle du forgeron frappant le fer fait rougir les mots que nous enroulons à nos marches immobiles. Clandestin sur mon propre navire, je rame entre les ornières qui nous séparent. Tantôt du lierre, tantôt des algues grippent le mouvement. Alors, je surfe sur un trait de lumière et j’harangue le silence qui me laisse vide.  

Tandis que le réel nous glisse entre les doigts, nous voulons désespérément arracher à l'histoire quelques fragments de vérité. Reconnaître le juste sursis de nos cœurs parmi les folies assassines de ce monde. Aucun ordre n’est une référence absolue. Rien de ce qui nous paraît immuable ne l’est vraiment. Parfois, la terre est lourde à porter et le sang qui l’a nourrie déborde des rouges pétales du coquelicot. Je te montre mes mains de paix malgré la pitoyable détresse qui m’envahit. Il y a bien un chant, un parfum et des visages et puis ailleurs la main lisse comme une tombe muette. On nait tous dans l’écorchure du jour, dans une proximité fiévreuse où chacun tente d’entrer en résonance avec une part de lui-même demeurant résolument étrangère.

Traces, balafres, écorchures de la matière, rien ne se fige dans une fixité permanente. A peine d’imperceptibles fêlures, de minuscules effondrements, restent souterrains et secrets. Dès tes premiers gestes, l’ordre de l’héritage s’abolit. Dans le silence décousu de l’organique, demeure l’imperceptible respiration des pierres et du feu. Toute notre chair semble vouée à la corruption, à l’anéantissement. La morale et les dogmes sont décapsulés, l’idée même d’une famille ne se retrouve que dans l’immensité de l’humanité, une larve dans le volcan du big-bang. La sève des arbres est universelle, chaque arbuste occupe l’apparence des éléments : le vent, le soleil, la pluie. Comme nous, le réel est multiple.

Duo de matière brûlante, pile efface le face à face. Miroir d’un recto-verso buvant au jour, nos âmes jubilent des revers de la nuit. Séparés, dissociés puis réunis dans l’aveu du sang, on s’épile les faits et gestes qui nous rapprochent. Enfant, chacun de son côté, nous étions neige et nous fondions, absorbés par la terre avide d’eau. Un feu liquide a ravagé nos chairs. Tu n’es plus moi, je ne suis pas toi, une force irraisonnée nous sépare du moule fondateur devenu un tombeau de ressemblances épinglées au-dessus de nos vies. Nos cœurs en boucle sonnent le tocsin comme un mendiant aveugle cherche la beauté.

On se perd, on se quitte. On se retrouve à l’envers dans une mémoire toute corporelle. Je revois tes lèvres déchirées par le typhon séparateur, ton visage clignotant à la déroute du temps. Seul, le souvenir est resté intact. Mon fils, je suis descendu plus bas que la brume, ton menton m’a permis de me camoufler. Je vois toujours tes sourcils au-dessus de la clairière de tes yeux. L’air soutient tes cils et ta voix mélodieuse clapote sur la rosée qui nous fait tenir à distance. J’ai perdu mon nom dans le tien, la vie ignore que je reconnais le grain de ta peau.    

Crache, crie ! Du venin dans nos ombres colore l’empreinte commune et debout sur des racines glissantes, je chante des cimes inatteignables. Nous sommes des fruits trop lourds pour la branche qui les porte.

Des paysages se dessinent, si beaux, je marche alors en mon esprit. Libre, de découverte en découverte, c'est sans fin que le jour ferme ses volets. Sans fin parce qu'il n'y a pas la peur d’un terme quelconque, pas la crainte d’un faux-pas, pas de rumeurs assez fortes pour ternir la clarté qui nous embrasse. Souvent, mon cœur fume dans l’aube mourante et je fonds dans une vacuité quasi universelle.

Ce que l'on traîne depuis des siècles pèse parfois si lourd qu’il nous faut quitter le réel pour ne pas refouler l’existence. De ce présent qui nous suit et nous précède, dans le mouvement perpétuel, ce rien où toujours ne cesse de commencer, nos petites vies exaltées par la brûlure de la lumière déposent la clarté au fond de nos tiroirs de songes gris. Pour s’accorder au monde et exploiter sa propre construction ne faut-il pas exercer le détachement sur son esprit ? Nous avançons pourtant. Reliés, maçonnés, articulés par une note unique. Nos pas savent la route devançant toutes nos errances.

Ne parle pas, vide tes yeux et ne retiens du jour que son abstraite substance. Ne dis rien, sois secret comme un silence peuplés de totems et de rites sacrés. Il ne peut s’entrouvrir un message de détresse, des mots façonnés par les fantômes que tu croises. 

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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