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Bruno ODILE
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Bruno ODILE
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9 mars 2015

Je n’ai pas voulu reproduire le monde

Tamara_de_Lempicka_Nue_aux_voiliersJe n’ai pas voulu reproduire le monde des hommes, ni même l’imiter. Il est trop vil le monde, trop sale et trop saillant pour qu’on puisse l’arborer comme un étendard. Fragile figure se consumant dans l’instantané, l’heure plie sous le poids de ses dédicaces. Je n’ai pas choisi les liens qui me cernent. Le trajet coule comme un métal d’eau parmi les rugissements d’autres mesures, d’autres tempos. Je suis renfermé dans un sceau de paroles et de nœuds, dans la syntaxe d’une élocution inexistante. L’expérience de la désappropriation est imminente, chaque seconde fixe ses clôtures et l’innocence du verbe se délie de l’inaccompli vers l’oubli.  

Nos chairs sont matelassées de vides et de folies. Nous sommes des résistances, des fagots de démesure, des aberrations inexplicables. Le meilleur de moi-même est timoré. Tu ne peux savoir à quel point tu me ressembles, nos étincelles charcutent les griffons de la nuit sans laisser de traces. Nous sommes faits pour ne pas exister, c’est pour cela que nous chiffonnons les routes et les chemins de nos instables projections. Nous sommes l’imagerie d’une stèle imposante, d’un reflux de matière inaltérée, d’un feuillage invisible pris dans la masse du vide. Nous sommes tout à la fois le verbe et l’empreinte, le vivant et l’inactuel, le paroxysme et la désuétude.

Je ne connais du jour que son insomnie lactée, qu’un repli de lumière entre un vieux parapluie aux couleurs fanées et un vieux nounours à l’oreille arrachée, aux corps déplumé avec plus qu’un œil pendant et décousu. Mon esprit gribouille des ondes défrisées sur l’horizon sans fronces. Rien ne m’appartient et que pourrais-je livrer de si peu ? J’entends bien sonner les grillons de mon intimité mais répandent-ils leurs ébruitements vers l’extérieur ou vers l’intérieur ?  Ce n’est qu’une pupille noire, une nuit complète en soi, une larme et une seule se lamentant à chaque miette de sel perdu. Nous ne sommes déjà plus dans l’intimité de notre sang et, cependant, coule dans mes veines l’aube que tu fais se lever.

Mon fils, ma douceur, mon nacre, mon cristal merveilleux, je désire durer pour ne pas perdre le fil de lumière devenue la passerelle de notre sang commun. Nous survivons dans l’épaisse brume nous recouvrant et dans le pas lent de ce monde désossé. Nous incarnons l’absence de forme où l’ordre se combine avec les étoiles rangées dans le ciel. Toute appréhension justifie nos courbes et nos ressentis. Nous sommes l’énoncé émaillé d’une chaîne mille fois reprisée. La vérité à ce stade n’est plus qu’une rectitude sur le toit de nos prérogatives. Déterminés et volontaires, nous le sommes et le serons encore. Mais, quelque chose nous domine et nous marchons dans les pas de ceux qui nous ont précédés. Parce que toutes les réalités nous échappent, nous brillons au soleil comme un bouquet d’arrogance et de peurs malingres. Nous allons face-à-face comme dos-à-dos à la rencontre de notre énergie pure.   

Je ne suis pas de ce monde malgré mon assertion à vouloir le parfaire. Je ne fais pas partie de la réalité à multifacettes malgré sa frange ballottant sous mes yeux. Je ne cherche pas davantage à vivre pour vivre et à consommer la joie comme une vulgaire glace à la vanille. Je suis oiseau de passage, exilé sur une terre aux mille éclats. Je suis le passager clandestin d’une série de vœux emmêlés. Je vomis un peu partout l’étrange pouvoir que mon existence recèle. Ma voix est une cornemuse où souffle le vent lorsqu’il s’éreinte à balayer toutes mes défaillances. Mon nom s’efface dans le tien comme un fossile dans la pierre. Apparenté au sable, je sors des moulures qui me façonnent.

La route que je connais ne mène pas au monde. Mon corps est une épave velue, mes lèvres surinent l’alphabet morse et mon ombre est ouverte aux sans-mémoires. Mon père et ma mère, enlacés au bout d’une spirale à jamais infinie, ont dépassé le jour suivant. Je connais très mal cette terre au bout de mes doigts et dans ma salive, elle me cherche sans toujours me trouver. Semence de la lumière, les crachats du jour remplissent ma bouche de cendres. Je suis mort de ne pas avoir voulu apprendre à vivre dans la gifle du temps. Et mourir serait t’abandonner. Et, mourir serait prétendre qu’ailleurs est plus doux. La transmission de la vie est l’unique et véritable amour.

L’air nous regarde, nous prend et nous mord. Les mots suivent les paroles, ils marchent ensemble dans un silence de plomb. La vie fait mal, elle dégrafe son corsage et laisse entrevoir quelques tirades sensuelles. Quoiqu’il puisse en être, je n’ai pas tout entendu et je ne sais plus si j’ai mal de toi ou de moi. Tes mots expriment la vie, son intemporalité et sa vaillance à redéfinir les termes anciens et différents. Une manière d’être à l’émerveillement, à l’éveil du moment se conjugue en chapelets de souffles. Je veux tenir la saveur d’exister au creux de tes mains, saisir l’image joyeuse où tout s’effondre pour renaître.

Résistant plutôt que résilient, sans cri et sans violence, je rêve d’un soleil s’éclipsant, d’un mirador s’effondrant dans la brume, d’une pie jacassant seule dans la forêt des ombres. Et puis, te prendre dans mes bras et, danser, jouer, virevolter. Nous grandissons ensemble liés par de nouvelles fuites. L’éternité commence avec l’heure présente, dans la pause où s’épuisent toutes les résurrections. Tu es l’aimé de l’herbe et de la gentiane grimpant dans le phare qui s’éveille. Tu es l’aimé des brasiers fumants, des volcans bavant une lave rougeoyante. Tu es cette prairie féconde où chaque brin d’amour trouve une place confortable auprès des cendres éteintes. 

La vie te ressemble, accoudée à son métronome d’air et d’eau. Elle parcourt les fonds marins où tous les sédiments se mélangent. Elle déverse son espérance sur des chutes souterraines où nul chasse-neige n’existe. Chaque nuit se termine laissant sur l’herbe matinale les traces mal digérées de ses cauchemars. Hors des cycles de vigilances et de répétitions, l’œuvre du noir accomplit sa déroute. Inutile de rester masqués comme des Zorro de l’Apocalypse, le monde que l’on épouse a le visage des torrents rugissant qui emportent tout sur leurs passages. Je nais dans ton regard comme tu joues dans le mien, et le sable énumère la monnaie de son sort. Chaque goutte d’eau transporte une part d’échec et une part de conquête.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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