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Bruno ODILE
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Bruno ODILE
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27 mars 2015

La figure du contresens.

imagesL’exil se comporte comme une réaction mutine, comme une incartade jalonnant de plein fouet la roche de la falaise d’où nous avons glissé. Au loin, quelques silhouettes méconnaissables recouvrent le flou du brouillard et, dans la proximité,  les rats rongent l’abîme, les loups montrent les dents, les larmes ouvrent des baies, larges comme des fosses communes où s’entassent les vies perdues. C’est l’hécatombe des moments cruciaux. Lames d’eau contre la falaise poreuse. Bouillonnement blanc. Faucille d’acier martelé sectionnant le fil de nos épanchements, réduisant la réalité au fait. Plus rien n’a d’odeur, ton parfum est aussi flou qu’une fluxion étrangère traversant le temps écoulé.  

En bas, l’écume recouvre la surface agitée et, dans la proéminence des regrets, une île a poussé, un lot de terre est resté vivant. Un espace mémorisé reflue et nous sommes hors d’eau, hors du courant qui tire vers la dissolution des terres. L’horizon est tout empilé sur une ligne d’eau, une ligne de démarcation. Des voix remontent avec les vagues. Des paroles et des histoires claquent contre le mur qui nous sépare. L’air marin gonfle notre voile et remplit nos poumons. Nos voix expirent des notes posées sur la partition des hautes altitudes, des orchestrations désorganisées, des volées de concerts pour le spectacle des sens.

Petite île perdue, sans carte, sans véritable existence. Une giclée de terre soulevée pour la circonstance. L’évasion, le retrait, l’ilottement provisoire aux confluences des mots et des dires. Tout l’horizon décalamine les tuyaux engorgés par les sens. L’accord juste échappe à la percussion variant sans cesse les effets de grave et d’aigu. Voilà un sursaut de l’enfance conjuguant joies, deuils et amours autant que solitudes.

Une ligne critique s’inscrit et s’efface sur cette frisure bleutée. J’entends le bruit de la nature mouillée, retenue, larguée aux rebuts. Un bruit rugissant, un bruit de casseroles. Cernées d’eau, mes pensées s’ajoutent à la masse, s’intègrent au volume, font corps avec l’esprit qui m’échappe. Et, je me laisse porter. Dans la flottaison, des soupirs et des rêves cassés. 

Si écrire ne veut rien dire, c’est qu’il ne peut rien exprimer de la virginité de nos ressentis. Il ne s’agit pas d’un bâillonnement, ni d’une quelconque rétention. Mais d’une impuissance, d’un sans voix, d’un porte-parole dépossédé, d’une incompétence à déchiffrer les algues, les clapotis turbulents des ressacs. 

Ecrire demeure le témoignage de notre faiblesse à exprimer avec justesse les douceurs bouleversantes qui nous rendent sourds et aveugles. Ecrire, c’est bramer au centre de la forêt des mots où s’engloutissent les phrases dans l’amas de la profondeur des feuilles, dans le couffin des chairs du monde. Tu vois, j’écris dans la distance. Je pose les mots au plus loin, évitant ainsi qu’ils ne viennent trop perturber l’obscurité de nos chairs. Chaque lettre révèle la magie de la langue, l’air devient sonore durant ce parcours du cœur à toi. Regarde, quelques mots traitres au destin sont revenus jusqu’au sable, mélangeant le sel au grain dur et brillant. Le désir s’y est blotti. Un soleil court après l’ombre. Mes yeux sont fermés. Sous mes paupières, des tempêtes lavent les bouches où des pépites d’argile crissent sous la dent. L’heure est bleu-lumineux. Elle est posée sur l’avènement futur de l’évidence. Le courant des vagues reste calme. Il parle librement de la certitude de l’eau qui repousse l’air pour n’en conserver qu’une infime bouffée. Et, tu vois, c’est dans cette étendue sablonneuse que s’immisce le borborygme de l’ordre du monde. La roche la plus dure y perd son latin. 

Les mots nous amenuisent et nous délardent. L’espoir ficelé aux signes révélateurs ne peut se détacher véritablement. Nos corps sont des Apollon ivres de grimaces. Nous buvons le vide. Nous titubons de nos tourments. Nos fêtes jurent de ne plus s’accoquiner à l’humeur et à la tristesse. Le déclin des rêves envisage la survivance à l’échec, l’insurrection à l’ignominie, la mutinerie et la dissidence au délabrement. Mais rien ne peut étouffer complètement la lueur qui tarit nos ombres. 

Le partage, même virtuel, nous change et nous n’en savons rien. Il remplit nos auges jusqu’à leurs rebords. Nous y penchons nos lèvres, nous y buvons jusqu’à nous sentir les rois du désert. Parce ce que c’est toujours dans l’abécédaire de l’autre que l’on trouve son propre alphabet : nous devenons des voyelles stridentes parmi la flopée de consonnes rugueuses. Tu sais, ma misère n’a pas d’âge. Elle scrute l’arc-en-ciel pour en découvrir la couleur salvatrice. 

Et puis, quoiqu’il en soit, nous connaîtrions l’écoeurement que nous le réfuterions. 

Il y a toujours la figure du contresens ; l’éternelle distance entre les ombres et la lumière. Mais, dans la cache secrète, des yeux regardent le monde et nos visages sont secoués. Ils expurgent le médiocre pour ne conserver qu’une pâle apparence de sincérité. 

Parce que nous savons bien que l’autre est notre ultime achèvement plausible. Notre orbite corollaire où se traduit notre nature. Il est notre breuvage empoisonné de tendresses satinées et de fornications crépusculaires.

En ces terres inusables, le naufrage du cœur séjourne dans la parole dite. Une partie de soi se loge dans la forme rituelle que l’on accorde au message, alors que sur l’autre face abondent des mots malades, blancs comme des cierges éteints. La plainte prend asile dans les souffles bruyant du gémissement enfoui sous les roches. La solitude s’accapare l’intimité des bouches restées à demi ouvertes. Le verbe se conjugue brièvement dans les trous de la parole ainsi dévêtue.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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