Au creux de l’ombre muette.
Et puis, la route ; et puis, le chemin
Dans mes veines trébuche un silence scié à la racine
De vieilles tranquillités sommeillent avec la lame de la déception
Qui les découpent et les fragmentent en mille grains saumâtres
Sans dire mot, une âme de rêveur peuple
Toute ma solitude et toutes mes attentes frustrées
Puis, surgit le vacarme au cœur des vagues du monde
La tonitruance des foules anonymes et l’aspersion des voix
J’ai dans la chair un mille-feuille de sous-couches épaisses
De frustrations lacérées, de manques en tout genre
Un amas de désirs non résolus occupe mon sang
Comme autant de caillots opiniâtres
Obstruant l’écoulement naturel
J’habite le presque, le pour ainsi dire
Je flirte avec l’embolie de mes rêves
Je tisse les parfums aigres de mes discordes
Réunis à l’unisson, le besoin et l’envie faussent mes sens
Débouclent mes certitudes
Décalottent l’instant saccagé
L’impatience du monde nettoie les fraises sauvages
Sur la toile du réel, dans la fermeté des choses tangibles
Je tiens la rature comme un lieu de vie
Comme un chant de feu désintégrant les bouches avides
Je désire plus qu’il ne soit possible de désirer
Mon cœur tire la langue, ma salive s’épaissit
Mon dos courbe sous le poids d’une goutte de rosée
Je marche et je marche sans relâche
Traversant la mer, embrassant l’horizon
Plus j’avance, plus je sais ne pas avoir bougé
Agrippé au seuil de l’immensité
Comme un point saturé d’espace sans nom
Je suis la miette de pain sur le sol gelé
Dans l’attente du bec de la grive et de l’étourneau
Cassant la glace jusqu’à l’eau pure
Plus l’inconnu est une vaste terre à défricher
Plus mes envies enfourchent mon désir
Et dans mon cœur éclaté j’entends battre les ailes
D’un merle moqueur divisant mes paroles
En deux colliers d’enfer médisant
J’appartiens à la faim, aux souffles courts
Et aux ruisseaux d’humeur dans les fissures du monde.
Plus mon corps biologique se rétracte
Plus j’ai l’impression de devenir grand.
- Bruno Odile - Tous droits réservés ©