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Bruno ODILE
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Bruno ODILE
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7 juin 2015

Installé sur les lèvres du monde...

images4IQG751FLa joie me parait le meilleur moyen pour réconcilier mon être avec le présent du monde. Elle détient toutes les qualités du bonheur sans êtrel’exercice d’un but à atteindre et d’une finalité. Aujourd’hui, il faut que quelque chose arrive pour rompre la monotonie, pense mon intellect. Et puis, si rien ne vient, à tout prendre, que je sois capable de me satisfaire de ce qui m’est donné : l’air, le calme apparent autour de moi, le jardin qui parait stoïque au cœur de cette journée printanière un peu grise. En fait, il faut me ressourcer à ce qui semble être l’essentiel. Un peu à la manière de fonctionner de mon corps : manger parce que l’on a faim, surpasser les doses par gourmandise et laisser faire mon appareil digestif pour qu’il ne conserve que ce qui est utile à l’existence.

Isolés, mais pas seul, nous sommes un et mille à nourrir dans l’ombre des idées de paix et d’humanité. Cela ne veut pas dire que nous n’existons pas, cela témoigne seulement que la dominance culturelle nous écrase, nous contraint et nous bâillonne. Comment pourrions-nous combler l’abyssale vacuité d’être autrement que par un insatiable désir d’être et d’avoir ? Nous ne possédons rien. Dès notre plus jeune âge, nous ne faisons qu’éviter les plis du vide qui nous décoiffe et nous déroute. 

Le monde est fou, j’ai vu des anges descendre des étoiles pour balayer d’un coup d’aile le trottoir où s’empile le désordre des hommes. L’autodestruction généralisée galvanise la nature empoisonnée par le désir effréné d’obtenir davantage. Certains de nos congénères bronzent aux reflets des lingots d’or et d’autres bâillonnés par la misère achalandent leurs gibecières avec l’espoir des pauvres. Le partage s’accomplit dans les poubelles de notre cœur. La néantisation programmée effectue sa marche insolente et nos révoltes meurent dans les brouillons de nos âmes. Le profit profite à qui s’en acquitte. La morale, soudain inconséquente, laisse dériver le marasme destructeur.  

L’idée du néant devient peu à peu un gage de paix. En ce sens, le bonheur revêt l’apparence d’une incitation tonique à bien user du temps imparti. Notre source d’épanouissement réside exclusivement dans l'amour, l'art créatif, la réflexion, la nature, la contemplation, la durée et la sérénité du non désir infini. Dans les bras de Morphée, je restitue le parfum vivant du soleil qui chauffe la terre. Je gravis les hauteurs de la colline où la pénombre voluptueuse rutile comme la flamme singulière de mes rêves. J’éprouve le frisson naissant avec le vide du ciel qui fissure le lien avec le corail qui me remplit.

Et puis, a contrario, je cherche le lieu désaffecté dans lequel je pourrais marcher sous l’eau sans redouter les requins. Paradoxalement, parmi l’étendue approximative, le bruit de mes chaînes me libère du carcan invisible de la peur. La flèche de la vérité perce le jour que la nuit inonde sans qu’aucune trace de noir n’encombre le trajet de ce qui est vivant. Dans l’aire innommable, quelque chose s’organise sans que ma conscience puisse le toucher. Trop de sensibilité tue le sensible. Je papillonne sur le printemps des jours et le temps passe derrière mes yeux. Parfois, je suis de confession volatile, j’arpente les courants d’air entre les barreaux de chaises.  

Mon corps n’est pas mien, il remue dans ma tête, il bouscule les limites configurées par l’image. Rien ne s’inscrit, tout s’écoule. J’ai le visage de l’autre et la bouée des fictions compatissantes sous les bras d’un déchiffrement aveugle. Le leurre se mange froid et ma langue est sur toutes les langues. J’incarne le monde de la parole, de l’air et du vent. Mon ossature toute entière n’est qu’un amalgame de cendres. Rien ne peut se briser qui le soit déjà, alors je roule dans le cadre fermé de la solitude.

Le vent se lève et sur la corde à linge des serviettes et des gants se balancent allégrement aux rythmes de ses vagues. Dans un recoin abrité où viennent s’asseoir quelques rayons de soleil, un rouge gorge picore quelques friandises dans une touffe d’herbes. Tout semble plus ou moins paisible alors que le bulletin météo prévoit une pluie abondante pour l’après midi. Comme Ulysse attaché au mât du navire, je préserve mon esprit de la tentation de croire que la journée va se dérouler telle qu’elle est annoncée. Ne serait-il pas fou de résorber la sensation immédiate en accordant plus d’importance à une prévision ? Instants de bonheur, je ne vous lâche pas, je suis tout entier à vos côtés.

Ma joie est embourbée dans le consensus socioculturel. Je ne sais plus m’autoriser la libre et pleine expression de mes ressentis. Je les cadenasse, les maintiens dans la norme, dans le vraisemblable qui n’offusque personne. Je suis un homme normal dans une société normale et je vis normalement comme tout le monde. 

Incapable de jouir à profusion, je cantonne mes heures aux limites des circonstances et des événements ; et je respecte les lois communes qui me façonnent. Je suis un homme raffiné au cœur d’un monde vulgaire. Je suis un homme prétentieux qui a peur et je redoute que le regard des autres fasse exploser ma tête. Je me comporte comme un marin fou, passionné par la mer et ses embruns, mais qui se prive d’acheter un bateau, transit par l’épouvante de la noyade. 

Handicapé physique depuis plus de dix ans, je me rassure de ne plus pouvoir accomplir de façon autonome tous les actes de la vie quotidienne en rêvant de l’insouciance de celui qui parvient chaque matin à s’habiller seul et sans aide. L’autonomie physique est un bienfait dont on mesure la grandeur lorsqu’on l’a partiellement perdue. Avec la restriction des mouvements, l’existence revêt un caractère très pragmatique. A tel point qu’il m’arrive plus qu’à d’autres de ne vivre que par la procuration que m’accorde la pensée. 

J’ai pris l’habitude d’entendre les sons correspondant à ce que je vois. Dès lors, le simple murmure du pinson, le petit bruit de branches que l’écureuil agite, tous les mouvements qui raisonnent dans l’air me donnent la sensation pleine et entière d’être vivant. Installé sur les lèvres du monde, l’avalanche de solitude me laisse croire à l’immanence de l’égo ainsi qu’à ses conquêtes. Dans ma chair, tressaillent le baiser de la rosée et l’étreinte du vent. J’occupe le miracle du souffle qui erre dans mes fibres. L’intensité du réel, comme celle de l’imaginaire, dévaste mon sang et, cependant, je ne vis que pour atteindre le paroxysme de chaque situation.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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Commentaires
S
Sans le pouvoir et l'argent, l'homme aurait peut-être encore un peu de dignité.. Il se détruit doucement et la caravane passe sans que personne ne l'arrête..
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