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Bruno ODILE
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Bruno ODILE
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20 décembre 2015

Ce matin, c’est ma vie ausculte la brume déboisée.

nueenceinteDTu sais, les mots me travaillent autant qu’ils cognent à mon esprit. Dans le délitement des aubes, la voix du conteur s’élève comme un fatras de corps sans gravité. 

Cette soif abondante et incontrôlable à vouloir absolument savoir ce qui se serait déroulé si… Ce morbide conditionnel qui remet en cause les choix que nous n’avons pas tranchés : « Et si j’avais fait… » ; « Et si nous avions été… ».  Ils se sont tus là où ils auraient dû parler, et ils parlent là où ils devraient se taire. Alors comment te dire maintenant l’asphyxie qu’ils provoquent ?

Tu sais bien que je veux te parler de la parole poétique, celle qui vient se nicher au cœur même de notre désolation à ne savoir exprimer avec exactitude la source qui l’a enfantée. Cette voix porte en elle le hurlement qui n’a pas trouvé d’issue, le cri des organes du dedans restés compressés sans jamais pouvoir se relâcher. Ces verbes émaciés et tassés dans une cocotte-minute bouillante que l’on n’entend pourtant jamais siffler. 

Nos existences clignent des paupières comme des lumières d’ambulance. Nos souffles s’enveloppent d’herbes fanées et nous ne subsistons plus que dans l’arrachement des lavandes odorantes les soirs de pleine lune. Une étoile éclaire le sablier invisible qui vide son écume sur les rêves du bonheur. Cependant, je préfère ma nuit à tout autre. Fantassin de l’éclipse, je me retire du jour bruyant comme une lampe que l’on éteint par intermittence.

Compagnons de chiffon, mes sourires rampent sous le noir foulard de l’heure. Voilà ton liquide phosphorescent qui se répand sur l’autre face de la lune. Je sens un cadran jaune dégoulinant de mes yeux.

Dans le flot des ondes, je tiens ton baiser comme le socle du nuage où le blanc s’essouffle. Quelque part, le temps accompli improvise ses pertes et je suce à l’instant le peu d’abandon qu’il me concède.

Ce matin, ton cœur est revenu du cimetière, refusant de s’endormir entre les stèles de pierre et les paradis arbitraires. Il marche sur une jambe traînant avec lui des aubes défraîchies. Il est debout, sur ma langue, criant à la mer de se retirer du port où il a laissé des ancres encore toutes fraîches. Oui, c’est un cœur marin navigant aux quatre coins du monde. Il s’accroche aux voiles et va où le vent le porte. Il connaît l’Asie, le Groenland et la Normandie. C’est un routier, un nomade, un globe-trotter.

Ce matin, ton cœur est revenu avec le vent qui siffle dans un coquillage. Il a le visage d’un harpon et les mains pleines d’écailles de nacre. Des poissons se cachent dans les algues et la mer est devenue un sans fond imprononçable. Tu as le cœur des histoires inachevées et sans attache. Je l’ai vu quelquefois amarré dans des carrières de sable. Mais jamais plus longtemps qu’un silence d’été ou qu’une escale printanière.

Ce matin, ton cœur est revenu tout nu dans un vide brouillard où je te contemple. Il perfore la lenteur de la mort remplie par le rouge vermillon des ciels d’audace molle. Plus rien ne brille en dehors de cet accordéon de mémoire où sanglotent quelques notes perdues. Des La, des Mi et des Si. Beaucoup de conditionnels sur un présent qui se consume comme un papier d’Arménie.

Ce matin, c’est ma vie qui ausculte la brume déboisée de toutes les jungles du monde dans la profondeur des volcans. Il est des jours où l’espérance est une promenade figée. Où elle remue sur place. Où elle pédale dans l’abstinence désolée des fonds de tiroirs jamais ouverts. C’est certain, il y a des jours de frigidité incommensurable, des jours de stagnation indéboulonnable. J’aurais bien voulu bâtir ma maison autour de ton visage mais nos langues sont trop basses et n’atteignent plus la portée. Elles penchent sans vie sur l’heure qui les ignore. Ma voix est restée assise sur les nuages où tu t’es accrochée comme un serpentin incolore. L’instant est dans l’explosion, dans l’irréversible suie de son héritage. Il féconde et accouche les balbutiements qui s’amoncellent sous ma peau. Le temps est ce qui dépasse. Il est aussi ce qui comprime. Le passé s'éloigne toujours davantage et le présent sombre dans ce qui n'est déjà plus. Rien ne peut retenir notre univers temporel, nous habitons l’estomac de l’heure que nous digérons. 

 

- Bruno Odile -Tous droits réservés ©

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