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Bruno ODILE
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21 juin 2016

Pour l’utopie, l’existence n’est qu’une poêle à frire.

60472Parfois, le paradis ne suffit pas et le sacré obtient les relances narquoises du ciel. Parfois, les sens affûtés rechignent à percevoir la moiteur indifférente aux jubilations de la nature qui se réveille devant moi. Parfois, je suis égaré, les mains dans le ruisseau et l’esprit flottant au-dessus des pourparlers avec les rigoles voisines. Je ne cesse de courir au devant de la vacuité de peur qu’elle ne m’engloutisse. Je fuis le silence, ce virus intarissable où s’abandonnent les pas les plus solides. Je me quitte comme une chemise de nuit avant le sommeil. Je m’exaspère d’être à l’orée de l’illusion et je sape mes rêves comme de maudits excréments sur une nappe de béton nauséabonde. Des hirondelles gonflées d’espoir passent au-dessus de l’horizon et trouent les nuages déplissés comme des draps fantômes.  

 

Mes cernes ont figé les cris, mon corps ne répond plus à l’ombre d’un quelconque éden. J’ai le visage des sales jours. Même la pluie qui s’égrène doucement ressemble à des barreaux de verre autour de l’enclos où sont restés mes yeux. Je suis collé au masque indécent du baiser de la mort. Exilé sous la vague hésitante, je suis sous le rabot de la voute, coincé entre les spectres d’une horreur carnassière et d’une joie qui s’efface devant l’évidence.    

 

J’en viens à laisser s’exprimer le destin, à céder à la fatalité. Je me désarme tout seul et me laisse conduire par les reflux de l’instinct. Désemparé, je cours plus léger que l’onde massacrante, je file comme une libellule poussée par le vent. Je me désaime depuis cette région occultée par l’ignorance et tout redevient possible. Je m’échappe de moi-même et acquiers l’expérience troublante du répit de l’existence. 

 

Je suis fendu de toutes parts. Des trous d’air béants laissent courir le vent entre ma chair profonde et les frottements sensuels du désastre. Je n’ai pas connaissance d’un trublion plus inacceptable que le lait qui bout malgré la défaite du jour. Un feu endormi sous la table du monde lèche la croix que je porte comme un pèlerin voûté sous l’arche céleste. Sur des cicatrices dévastées, j’entends résonner la quintessence des amours éternelles.   

 

Qui peut savoir que la volonté est le fruit invisible d’une âme forclose de désirs inavoués ? J’aime à tort et à travers cette vie cataclysmique. Mon calendrier est une ébauche de blanc sur la luzerne de la nuit. Chaque soir, j’entends le cri du hibou planqué sous ma poitrine. Dans mon parcours de lilliputien face à l’infini, il incarne mes peurs et mes angoisses. J’habite le cœur des forêts qui borde le contenu insipide de mes croyances.  

 

Etre un homme et ne pas le savoir ; être vivant et toujours en douter ; être mort et encore dans le couloir de la lumière. Je décèle au-delà de mon souffle, la rosée qui déroute mes envies. Je m’éteins devant le miroir chaotique d’une balance mécanique sans jamais avoir le goût de rompre. La nuit tombée, je redécouvre l’esprit bancal qui flotte dans un noyau de plumes. Mon radeau enchaîne les cascades qui torpillent le calme apparent. Le plaisir des sens est tantôt une ivresse, tantôt une frustration de pardons réflexifs et de contritions. Mes bougies se consument lentement dans un champ d’épreuves, dans le feu clair de l’être.  

 

Ecartelé entre la vie et la mort, je connais l’alchimie des imperfections qui troublent mes failles. Tout ce que je suis incapable de traduire me laisse dans un non choix. Le vide est une respiration que je n’ai jamais quittée. J’appartiens aux mystères qui donnent vie à une prépondérance inaltérable aux secrets de la matière dont je suis un minuscule maillon.  

 

Les mots maltraitent toujours l’incompréhension de ce que je suis. L’écriture se déploie comme une sève profonde qui s’extrait à la surface du tronc avant de glisser sur les chemins striés de l’écorce où le corps avance dans l’esprit. Tandis que s’élève une richesse impalpable, la sécheresse qui me tient lieu de refuge tue les fauves fantômes qui peuplent les chemins de broussaille. L’amour qui me brûle et me consume ne connaît pas les cendres froides. Dans le matin, dans le présent, le corps ému, la vie avance et je la suis à petits pas. Je cherche les pistes brisées sous le regard des dunes, là où le vent reconstitue de nouvelles parures. Je suis un buvard pour le café du jour, un filtre pour la folie qui me saisit.  

 

Gestes roides et malhabiles, mes mots se bousculent dans une frénésie puérile. Sait-on encore l’attrait d’un parcours à sa taille, à ses reflets, à son insaisissable promesse ? Car je viens et je vais dans cette folie soliflore qui se dévoile dans l’ermitage passif et qui se déploie à la commissure d’une Géhenne de médiocrité lascive. De la défaillance creusée en soi, jaillissent d’éternelles passions pleutres et des curiosités accablées par les bouffées pérennes de l’insatisfaction. Que reste-t-il de la pensée qui voudrait me hausser plus haut ? Comment reconnaître le mimosa fantôme qui passe sur mes cimes comme un parfum empourpré de jaune ?  

 

Il n’y a ici qu’un Moi fendu, un Moi disparu, où s’étale l’herbe dépassée par l’ampleur du vert. Cerveau biné à la hâte et méninges à fleur de crinière, j’exalte l’ivraie avant même la saveur. Partout où j’essore des lambeaux de soleil et de brouillard, la félicité communique avec la lumière. Dans les ténèbres de l’espérance, je suis ce que je crois être. Comment pourrais-je rivaliser avec les leurres ? Je reste sur ma faim dès lors que l’horizon est uniforme. J’ai quitté le chemin pour me replier dans un sourire. J’ai perdu la route, je suis sur tes lèvres moqueuses, sur les larcins de ta bouche. Je n’habite aucun lieu, je vis dans le souffle qui s’envole des brasiers. Je me suis si proche que parfois je me frôle au rasoir du néant.  

 

Désir sans joie, casseroles bouillantes, je suis tenté par l’angoisse du réel, par la frigidité de la morale qui destitue l’appréciation de mes sens en les accablant par de dures restrictions ascétiques. Sans autre volonté que celle de rompre avec le sinistre des jours boiteux, j’aiguise mes pensées dans la négation de toute magnificence. Pour l’utopie, l’existence n’est qu’une poêle à frire. Toute création ne fait qu’empirer l’éloge de la mort. Tout est parfois si vide en moi-même qu’il est vain d’appréhender le chaos à la mesure de sa détermination. Chaque joie révèle la misère qui m’en éloigne.  

 

Je cours et je saute les haies de mon propre naufrage. Midi s’est décalé de l’ombre perpendiculaire, minuit sonne l’épaisseur qui me conjugue au sort des flammes ravageuses. Tout est foutu avant même que d’exister. Parure sans arme pour me défendre, mon corps est une moue plongée dans le cafard des heures que j’invente. S’il vous plait, sortez-moi de cette souricière et accordez-moi une mort douce, un suicide immédiat, une fin, un renoncement perpétuel qui endigue toute revanche à la vitalité.   

 

Tout ce que je sais sans pouvoir le dire, tout ce que je dis sans pouvoir le taire, et voilà que je m’enraye dans les vagues du silence. Je m’aligne sur la trace effacée de ma résonnance. Ici, sur cette terre, la joie et la douleur ne peuvent pas fonctionner l’une sans l’autre. Ici, plus rien ne peut consoler ma lâcheté. Chaque matin reprend pied dans l’herbe frissonnante où se déchire la rosée que l’aube malmène. Et je redescends de la muraille du vertige comme une goutte d’infini que le sol absorbe jusqu’à plus soif. Je suis dépossédé du mot de passe que le petit matin enfonce dans la serrure où s’abolit la souffrance de l’ombre transpercée par les flammes du soleil.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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