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Bruno ODILE
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Bruno ODILE
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13 juillet 2016

Le dépassement

6342230Le jour a volé mon sommeil. Au-dessus du détroit d’une vie déréglée et pour mieux enrober les infiltrations impondérables, je relis les pierres fondatrices de mon royaume. Par quels motifs vais-je jaillir de l’épreuve qui cherche une récompense ? Tout s’affirme et s’enfuit à perte. Là où plus rien ne me ressemble, tout m’appartient. Toute la matière tangible reconfigure l’appel du jour mourant dans la brèche ouverte sur l’irréel. Quand bien même l’horizon poisseux s’étendrait sous ma langue, le rire absurde viendrait dénoncer la part cachée de mon néant.  

 

L’empiétement sociétal est ineffable. La rumeur de la production aveugle et tout azimut, ainsi que le fourvoiement des appels aux désirs sommeillants taguent nos consciences d’oiseaux malveillants. A l’exode de la temporalité, la vie n’a pas d’heures, elle les brasse toutes. Pour certains, l’heure inscrite sur la montre recouvrant le poignet est différente de celle mentionnée par l’horloge commune et ils en perdent la tête. Pour d’autres, c’est la pendule commune qui est détraquée et qui ne mentionne plus la durée de façon chronologique. Enfin pour quelques-uns, le requiem des tic-tacs n’a aucune importance et seule l’exploitation de l’immédiat demeure l’évidence première. 

 

A l’heure de l’exactitude, je compte ce temps, minuscule espace, assassin des grands chemins, ce fruit d’hiver tombé dans l’escarcelle de mes printemps. Je n’ai plus d’autre combat que celui d’être joyeux. 

 

Je cohabite avec l’effacement et la fusion. Sur ma route, je traverse des laboratoires de tensions, d’outils sécants et de radicalité. Chaque jour propose une multitude de croisements. Chaque intersection nécessite un choix. Chaque choix implique l’exercice de soi au-devant du monde. Le rapport du réel à l’imaginaire est incessant et il augmente considérablement la perception de la liberté que je ne sais pas nommer. La vie est une boursouflure que j’excave chaque matin au réveil.  

 

Je suis ici attaché au voyage qui m’emporte. Immobile à l’intérieur de moi-même, le feu qui m’active refuse le repos. J’ai la sensation de ne pas savoir prendre le temps qui m’est donné, d’être dépassé, de n’avoir pour répit que ce cloître de mots avec lesquels je recouds inlassablement les failles que je rencontre sur mon parcours. Il m’arrive parfois d’éplucher l’air pour savoir si je ne l’ai pas gaspillé. Par moment, mon cœur frissonne avec le malentendu et l’inessentiel de l’ordinaire. 

 

Je suis incommodé par ce monde aux processus infernaux. Souvent, le bonheur m’échappe, l’existence me soudoie, la main lâche le trèfle à quatre feuilles et j’ai l’impression que l’immédiat se dérobe à lui-même et que l’album de la joie se feuillette en dehors de la présence de son contenu. La vie claquante dans mon cœur est une ébauche imprévisible. Elle s’enrôle de buts, de desseins et d’intentions et se meurt dans le gaspillage du souffle retenu et comprimé.  

 

Et puis, le retour dans les bras du jour, la poitrine en avant comme une vague gondolée prête à s’écraser sur les buttes de la bonne figure dans laquelle je m’efface. J’ai clopiné d’une tristesse à l’autre, j’ai dévalé le Mont-Blanc d’une valse glissante, de la neige et de la glace sur les mirettes des regrets. J’ai retourné mes yeux sur les jumelles qui mâtent la chair dans son triste désordre ; j’ai perdu ma langue sur la ficelle des humeurs et mon cœur dans les décharges de la chaleur humaine.   

 

Le rire me civilise, le rire me déboîte de l’ombre où je construis mes cabanes. J’appelle ici la joie un état d’âme où l’eau claire ensemence la boue. Mon cœur est une civière pour l’incendie, il brancarde les démons qui me paralysent. Il colporte ma folie au-delà des draps blancs dans lesquels se réveillent mes rides et mes tensions d’homme. Ma voix dans son dernier songe pansera le noir précipice que je n’ai pas goûté. 

 

Adieu risques, orgueil et ennui, je vide mes planques et retourne à la joie poignante d’une main qui épouse la paume d’une autre plus juteuse et plus palpitante. Je cours vers l’auguste jubilation du semeur d’étoiles. 

 

Volte-face à répétitions, réparations, béances, et l’abandon, surtout l’abandon ! Le lâcher-prise inondant l’espace pacifié ; cela vaut le coup de sortir de la pesanteur de soi, cela vaut un sourire et deux soleils !  

 

Le dépassement déborde la détresse qui nous cercle, il permet d’utiliser les moyens que nous possédons pour nous soulever et nous élever de notre condition. La joie est partage, elle est l’artifice lumineux au-dessus de la communion. Faut pas gâcher le plaisir de recevoir, le bonheur d’aimer et d’être aimé. Faut arrêter de ramer à contre-courant et laisser au déluge sa part d’emportement. 

 

Dérouté par un nihilisme doloriste, longtemps j’ai crapahuté à l’intérieur des failles narcissiques. J’ai déplacé mon corps et mon esprit à travers les soliloques intempestifs de l’énergie pure jusqu’à pénétrer la vitesse absolue qui efface tout. J’ai scruté toutes les zones aléatoires qui bordent mes frontières. J’ai approché la paranoïa de la signification, j’ai tenu ouvertes mes pores par-dessus les filets de l’éternité foudroyante et j’ai rencontré la lumière de l’innocence, la candeur pétillante du renouveau de la connaissance.  

 

Mes lèvres n’ont rien oublié du baiser partagé. Dans le réfectoire de l’inachevé, de minuscules sourires jouent à saute-moutons ; ce qui me remplit de joie n’est pas encore élucidé. Ne plus accuser ni l’autre, ni soi ; s’accepter tel qu’on se vit, c’est se regarder dans le miroir avec bienveillance. C’est se voir avec l’indulgence de mère Nature. Il existe partout un plaisir malheureux qui nous confronte avec la petite flamme inaltérable couchée au clair de soi.  

 

Pour vivre heureux, il est utile, voire nécessaire, de vivre détaché. L’ataraxie devient alors le sang même de l’existence. Le désir est notre moteur le plus radical. Il peut nous enflammer jusqu’au surpassement de nous-mêmes. Il peut nous fracasser aussi soudainement qu’un éclair de sublimation. La beauté du monde est plus grande que n’importe quelle occupation humaine. Elle est en soi comme l’humilité la plus profonde. Ce sont nos exigences dominantes qui sont nos plus grandes meurtrissures.  

 

« Qu’est-ce que je serais heureux, si j’étais heureux ! », nous disait Woody Allen. Mon désir d’être heureux colporte l’idée du manque et de l’insatisfaction que seule ma volonté ne peut atteindre. L’espérance et la projection ne suffisent pas à anticiper la joie. Seule une âme aguerrie par une multitude d’expériences malheureuses peut nourrir la faculté de l’esprit à s’élever de sa propre condition.  

 

L’aventure sourit à l’audace de la chair qui s’expose à ce qu’elle a de plus précieux : la vie. S’aimer soi-même est l’énergie suprême qui vitalise l’efficience fondamentale. Je voudrais être saoul de moi-même. Jusqu’à la nausée, jusqu’au vomissement de mes particules les plus fondatrices. Fusions et dissociations sont des salves libératrices. Il n’y a rien qui encombre dans le bonheur. C’est léger, doux et enivrant. 

 

La joie est explosive et c’est dans son éclatement que je touche à l’existence elle-même comme dans la douleur la plus ultime. 

 

On peut presque toujours vivre d’un revenu modeste et se sentir riche. Je ne veux plus gâcher la grâce avec la gravité. Je veux conserver l’éclat qui m’économise du mal-heur. J’aime les choix qui me ressemblent.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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Commentaires
S
Je ne suis riche que de mots partagés et d'espoir sur l'arc du jour.. Au soir, je rêve pour que demain m'apporte encore cette espérance.. Quand il n'y a plus que ça..
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