Un grillage au fond de l’eau.
Il faut oser la liberté, oser dégrafer toutes les enseignes du dire, détacher les sangles moralisatrices et les dogmes purulents. Tout brûler et tout rendre sans nuance à la bouche percée, à la parole détachée.
J’apprends chaque fois à ramasser les cendres de la veille, à redire le pas qui s’avance dans la résistance du jour et je reprends souffle sous la pierre du chemin où combat l’ardeur palpitante du simple plaisir… d’être.
Je suis une métaphore,
je suis l’image d’une fiction,
je suis le protocole haché de la transparence.
Hydre fou sur la toile du monde,
j’inaugure le regard dans son envers.
Dépoli et rugueux tout à la fois, je m’écoule du rabot et de la forge de ceux qui me regardent. Je me découvre au centre d’un débordement alors que mes souliers zigzaguent sur la prunelle du jour.
Je lave puis relave mon identité fantomatique. J’astique ce corps d’abandon qui me sert de manteau et je souffle sur mon existence pour la faire s’envoler.
Au verso de la parole, je cache les mots de mes défaillances. Farine sortie du sac, je neige à ressac sur le brouillard qui m’emprisonne. Pierre en son sommet, je roule jusqu’à la rivière de poudre où l’on disperse la chaude écharpe de la respiration.
Rues intérieures, échauffourées de la patience, je ne suis qu’un étonnement, qu’un serpentin édulcoré sur la face de vieilles certitudes.
Ne dites rien sur moi qui puisse défigurer mon nom.
Ne prononcez pas l’alphabet à l’endroit.
Ma cage est un espace libre au pays des renoncements.
Tout ce débridement accentue mon chant de refus. Sans hausser le ton, j’adhère aux contradictions humaines.
La grande nausée de la vie me sauve de l’écœurement. Ma chair bavarde et navigable se déloge de ma ligne de vie pour s’aventurer vers tous les possibles.
Par moment, chaque effort traduit la tension grimpante. Dans chaque expiration, je m’efface autant que je progresse.
Ma voix implore le lâcher prise fulgurant.
D’avant en arrière et dans tous les sens,
des grumeaux de sons explosent à l’air libre.
Je ferme les yeux et tout se réunit
dans une boucle fusante de toutes parts.
Des cordes nouées se désamarrent de la terre déjà creusée. D’anciennes chrysalides heurtent le cheminoir où s’ajustent les dents de scie d’une existence sur le qui-vive.
Parmi le lot de représentations délivrant un message subliminal, la parole ordinaire se meut dans la déconstruction et la décomposition.
Je parle et l’instant devient la transgression du temps qu’elle désagrège. L’heure se construit sur un phrasé déliquescent.
Mot à mot, lettre à lettre, l’écriture charrie l’encre du sentiment ressenti dans son abîme. Une vocalise immaîtrisable s’envole alors de la bouche comme une tache sans corps et sans racine.
A fleur de terre, une vague d’air ramasse les copeaux du non-dit restés enfourchés sur le grillage du silence.
La vie et la mort se sont rejoints
dans cette cage enrubannée de corps essoufflés.
Tout tient là, au creux de cette fosse à émotions.
Tout se déverse dans la transparence d’être.
Un flot de regards emporte le cœur du monde après les larmes et les rires.
Plus loin à la dérive, un vieux grillage au fond de l’eau tire sa révérence.
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