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Bruno ODILE
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21 septembre 2016

Je suis à l'extrémité du frisson qui m’effleure.

13438948_270267236666932_9077394048829899066_nLe cheminement consiste toujours à basculer de l’attention à l’affection. Affecté, on l’est forcément. Le sentiment de restriction est affligeant et les obstacles paraissent surdimensionnés. J’ai conservé le souvenir de la fluidité et ce barrage à l’intérieur de moi contrarie l’épanchement naturel de mes gestes. Mais, on ne recommence pas à vivre, on continue seulement un chemin entamé depuis le premier jour. Hier encore, je lâchais prise sur un événement qui venait contrarier mon rétablissement et ma progression. Enflammé et déconcerté, je m’écriais : Mille millions de sabord ! Arriverais-je enfin à tenir correctement ma brosse à dent ? 

 

Lorsqu’il ne vous reste qu’une jambe et une seule main alerte, chaque mouvement nécessite la perfection de l’équilibre. La mobilité du corps réduite, l’empreinte initiale demeure et tout se confronte à la réalité modifiée. L’esprit scarifié, je boursoufle à l’intérieur de moi-même. Il devient nécessaire d’approcher le chaos dans sa continuité illimitée. J’entreprends donc une démarche épurée vers moi-même. Le problème n’est plus ce que je peux ou pas encore faire, mais avec quel état d’esprit je vais pouvoir m’employer à coordonner mes capacités d’existence avec l’environnement d’une vie « normale ». 

 

Souvent, les événements de l’existence nous affaiblissent de telle manière qu’il devient impérieux de se surpasser. Et je viens vers vous, regards de l’autre monde, avec l’intention d’ouvrir les portes et les fenêtres de la confidence. 

 

Personne n’a rien pris. Tout s’est ôté soudainement. Séparations des membres et des chairs. Il n’existe aucun son pour rendre la voix perdue. Comment vais-je pouvoir penser autrement, intégrer la culture reçue jusqu’à présent et reconnaître les sens originels ?  Des mouettes sans ailes sont perchées sur le haut d’un mât de cocagne. Le pardon émancipé de la conjoncture ribaude avec les pluies de l’enfer. Je m’initie au blanchiment des heures sombres. D’une main blessée, j’écris toute l’hémorragie d’une douleur qui m’échappe. Le corps entier n’est plus, le miroir respire sur d’autres rives. J’ancre mes ombres sur l’éclat de reliefs repêchés au temps qui n’est plus. 

 

La vie se maintient seule comme une délivrance esthétique sur un plâtre sans teneur. 

 

Lieux déserts à jamais, recomposés mille fois par l’ardeur du temps, le hasard batifole dans les murmures distendus de la seconde sournoise. Ma peau, mon corps, tous ces liens défaits de moi-même semblent se retisser au contact de l’air douloureux. La blessure recentre la soif au cœur des géométries, elle amorce le patronage des caresses soigneuses au présage des tourments. 

 

Ne pouvant me désimpliquer du monde, je veux parler à la matière, à corps défendu, à langue remise dans son fourreau. Chaque soir, un peu d’ombres et de pelures grises s’en vont rejoindre les lignes d’absolu qui s’étiolent. Mon corps, dépossédé de lui-même, va et court sur le long manteau des cathédrales de la rébellion. La pierre a signé un pacte avec le temps qui passe. A perdre des bouts de soi, l’on croit trop souvent tout perdre. Mais, j’ai conservé dans mes valises l’odeur du sang et du printemps. Des papillons habillés d’armure inondent l’espace où ma main se déplie. 

 

Toutes les capacités perdues sont un handicap à la mémoire du corps. Se réapproprier, oui. Mais quoi ? Je est un sujet nu, un espace impossible, une lésion assise sur la clarté qui s’échappe. Maintenant mon être en sommeil est comme dérouté par ses désirs. Naufragé des temps modernes, j’écope l’écume d’être et les relents du vide dans la mare narcissique.  Je suis presque mort sur un coin de jour. Je suis devenu le visage du morcellement. Comment vais-je pouvoir me nommer ?   

 

Je ne laboure plus les jours qui passent, je jachère, je dépose et j’entrepose derrière les lignes intemporelles du silence. Je cultive sans semence. Mes graines sont des résidus de vents et de marées. J’ai les mains soudées à l’égarement, j’attends le pain qui sort du four. J’attends l’imparfait silence qui sort des meurtrières de l’âme. Derrière les remparts, j’ouvre les yeux sur ma clairière aux joies abandonnées et aux sourires disparus. J’ouvre mes bras à l’interstice de la patience et de l’exaltation. Je bêche l’instant qui me maintient plus haut que les nuages, au-dessus des naufrages de l’artifice. Dévasté, je suis dévasté. Le coma qui me maintient dans une respiration vitale ravage jusqu’à mon identité que je croyais pourtant souveraine. 

 

Lagune après lagune, ma langue renoue lentement avec la lande défrichée. Le sable est doré et j’occupe le faisceau de lumière où l’on rejoint le passeur, le berger anonyme qui conduit hors des frontières de la culture humaine. L’étrange énergie omnisciente est défectueuse et le guide invisible effleure l’intégralité de mon être comme un sonar à la recherche de mes fantômes. 

 

Dans cet espace impossible de joie, ma vie, cette émeute du manque et de la conquête, n’a appris qu’à dépasser et à surmonter. Ma voix décollée des lèvres mine l’extérieur qui se heurte à une harmonie perdue. L’émotion muette fabrique des boucles de feu et je sommeille comme un faucon gerfaut givré à l’intérieur d’un iceberg à la dérive. Avant, mes jambes se croisaient. Avant, l’heure était dite par deux aiguilles inséparables. Dans la parole pleine, je est subjectif. Dans mon sommeil, j’agis encore avec des gestes anciens. J’ai encore le goût d’une aube rigide en fond de gorge. Les mots que je repère me servent d’ancre sur une chaussée verglacée. De mémoire, je redessine sans cesse la neige tambourinante et l’avalanche qui donne une autre parure à la montagne. 

 

Aujourd’hui, des bouts d’espace manquent, de la chair et de l’épaisseur s’absentent du navire et je rame d’un seul souffle. L’incapacité a corrigé les rues et les trottoirs et, en tout lieu, la dérision géométrique défie l’architecture du néant. Je est un manque tout entier. Tout est instable, l’homogénéité a perdu sa substance. L’air est espiègle, il s’interroge sur le poids du drame qui m’anéantit. Mes supplications sont invisibles mais elles convergent toutes vers le blanc foudroyant où se dévide le désir de refondation. 

 

J’ai connu les débuts du bitume morcelé, défait de marques, neuf d’une vie à réapprendre. Un pied après l’autre, nomade à l’intérieur de mes ombres, je découvre l’immensité de mon propre visage. Je suis noyé dans les arêtes de l’obscure tisseuse d’avaries. Pâtisse des lèvres à l’usure des révoltes furieuses, une ligne fine de lin et d’aubépine répudie l’immobile gloriole de la parole. J’avale mes propres mots. Je suis ce que je ne peux pas être. Flamme souffrante et faste où mes os se découvrent, je suis à l'extrémité du frisson qui m’effleure. 

 

Gondolier sans gondole, je marche sur l’eau qui inondait le sucre des jours. Diabétique de l’équivoque, la famélique orgie de mon sang m’exécute ipso facto comme un intrus indigeste. Je pousse et je gravite sur l’humeur du chagrin présomptueux. Je est tonique, je est indiscipliné. C’est le fourvoiement des étoiles dans les sources incontrôlées de la survivance. Je se survit à lui-même en changeant de tête. La réalité prolifère aussi sûrement que l’illusion. Grand jeu de la farce aux miroirs incandescents, mes joies et mes peines se diluent dans l’haleine que j’impulse à la trompette de la mort. Terre rase, vertige soumis à l’attraction du vide, l’air chasse l’insoutenable terreur de l’apocalypse. Plus aucun terrier n’accède à la félicité. Il me faudra remonter à la surface des cœurs pour accéder à la prolifération du jus de vie encastré dans je ne sais quel ostracisme. Seule une flamme jaune libère le jour qui pointe sa mine endormie sur l’horizon à construire.     

 

Cessez donc de jacasser mauvaise foi et imbroglios carnassiers de l’évidence. J’existe encore, malgré les blessures répétées, malgré le marché des pluies acides et des heures accablantes. Impossible de prendre conscience de l'innommable. La raison décapitée par la tempête frigide révoque toutes les brûlures. Mon corps humilié dans sa grâce naturelle corrige les faux-fuyants, altère les dénonciations outrageuses de l’exclusion. 

 

Le ciel est une grande marmite inextricable où la buée devient racine. L’énergie fusionnelle dératise l’esprit mécréant, addict à la consolation morale. De petits clapotis explosent le mur du son qui se fragmente en mille éclats. J’ai dans la peau le frémissement des ondes sans écho et l’écorchement de l’éclair résistant. Larguez les amarres, il fait jour de l’autre côté du noir crachat des répulsions intimes. Le bonheur est toujours asservi par le diktat des croyances sans lendemain. Il n’a pas de corps et son esprit chancelle sur les flammes de bougies au fond des cathédrales de l’ignorance. La joie ne se sème pas, elle ne s’attend pas ; elle gribouille quelques sourires anodins sur les lèvres des papillons. Elle discrimine la fleur de l’immédiat qui caresse l’étamine du soleil. Je viens de tuer mon ciel et il me faut le repeindre aux couleurs filtrées de l’aube qui naît en moi. 

 

Je lapide et je dilapide, sans cesse. La soif ne s’écrit pas avec le sang de la mort. L’air n’a pas de veto. Je dégrise à l’orée de mes sens comme cette simple pomme qui n’a pas connu la terre du Calvados. Dans mes gouttières, un chat sauvage cherche la lune réfléchissant son croissant immaculé. Coups de pattes et coups de griffes, les tuiles parlent la langue de la terre et la pluie arrose mon regard d’une multitude de gouttes aussi salées que l’océan de mes rêves. La nuit circule dans le souffle court des marges ridées. L’outre-vie préserve ses miracles hors des heures tamisées. Mon corps filtre la pierre rigide et tenace qui alourdit l’heure nouvelle. Le réel qui me traverse n’a pas encore d’emprise sur l’opaque évidence où culbutent mes sens dans des reliefs contradictoires.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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Commentaires
S
Moi qui ne suis qu'un soupçon de plume , je t'encourage à continuer pour toi et pour tous ceux qui te lisent. Tes mots sont une écharpe de soleil sur l'ombre que tu chasses...
S
C'est tellement beau ce que tu écris. Derrière ce paravent de mots, surgit ta souffrance que toi seul connaît. Je ne me lasserai jamais de te lire.
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