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Bruno ODILE
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18 octobre 2016

L’air a repris la joie de ton visage.

13508911_270268180000171_2390386001336009996_nA l’intérieur de la bouteille jetée à la mer, les vagues qui nous emportent refluent. Nos visages sont entaillés dans le ciel, nos bras scarifiés et notre bouche reste à la surface des choses vivantes. La bave de l’air alourdit nos paupières qui s’écharpent comme les plumes de l’oreiller sur le lit de nos enfances. Nos êtres sont fondus au tronc de l’olivier comme à cette fâcheuse fumée dans laquelle on disparaît. Trop de vide se prolonge dans la main triturant l’écorce. La vitesse des heures force le trou sans reflet où travaille la sève. La terre brille dans nos corps et nos veines mangent à la terre liquéfiée. Boisseaux fagotés de nos vomissements et de nos brisures. La chambre est nue et le lit n’est pas défait. La nuit qui nous recouvre, crache du feu sur l’horloge bancale.   

 

Le haut et le bas n’ont plus de place. L’absence est dehors sur le palier, elle sonne aux portes déjà ouvertes. Notre panier criblé de trous laisse filtrer la lumière blanche. La mort comme une terre retournée offre ses parfums à la charrue qui la travaille. Le manque dissocie les mottes de sommeil. Le vent souffle pour cette chevelure de pierre, cette colline inassouvie. Et pour te parler encore, j’ai dû déchirer l’écriture.  

 

L’amour en friche comme une terre d’asile aère les plaintes. Je distingue à peine l’ombre que tu m’as laissée. Elle n’est plus désormais qu’une boue séchée qui se fracture et se démantèle. Labours des mots et des phrases, chevalet sans tableau, toile invisible, l’éternité demeure une peinture indistincte. L’accent soulignant notre parole se craquelle et des miettes de vie tombent sur le sol comme les olives oubliées de nos cueillettes. Je reste accroché aux branches pour ne pas me figer. Une vague d’air et de souvenirs se lève entre deux fenêtres. Le mur de la déchirure résiste. 

 

Je suis vivant, je suis vaincu, je suis tombé autour de tes braises gémissantes comme un obus insolite refusant d’éclater. L’absence a des ongles longs et affûtés comme des lames de rasoir. Ma peau griffée suinte le rouge et mon cœur traverse le corps du temps pour te rejoindre. L’air constate, puis confirme que tu n’es plus là. Je suis, seul, calciné et incinéré sous la blancheur claire que tu m’accordes. 

 

Il est des heures à différer et à inscrire sur la note griffonnée que l’on range dans une poche tendre. Un moment où l’ordinaire ne se cache pas, où il ne redoute pas le clair-obscur de la faïence des choses. Ici comme partout, lorsque l’ampleur de la tendresse est démuselée, l’amour s’allonge horizontalement pour mieux offrir une issue à la fatalité. L’attente vient toujours d’une présence manquante, d’une chaise vide, d’une bague sans doigt. Elle épouse l’inoccupé comme une pâte d’œufs et de farine prend la forme du récipient qui l’accueille. Elle gonfle et se durcit à la chaleur de nos cœurs devenus des fours de véhémences.  

 

J’écris ici de mémoire comme l’on récite un alphabet. J’écris ma vie posée sur la tienne, mes premières entailles dégoulinantes des rêves profonds. J’écris cet amour sur mes blessures et il se brode comme un frisson sur l’eau. Je suis un livre ouvert, un parcours à refaire, une vie à renaître. Laisse donc tes yeux dans mon cœur. Viens me rejoindre sous les arceaux de ce présent qui tremble et où l’avenir semble une douceur déchirante. Notre passé est une communion des feux qui s’éteignent et s’apaisent. 

 

Nos amours sont au-delà du lien. Ils frissonnent comme des branches, ils chutent comme des bogues. Mon cœur grimpe sur ton dos. Et nos mains se lâchent comme pour le premier pas. L’équilibre est précaire. L’avancée déterminée, je tombe et me relève. Tes bras sont plus loin. J’avance et tu recules. Je suis seul, tu t’en vas. Je suis collé sur ton visage et le vent nous chatouille. De ces cordes lointaines jusqu’aux grappes de tendresse qui coulent de ta bouche, tout recommencer. Il faut encore faire et refaire le parcours des ombres, marcher, ramper et avancer en titubant sur le chemin langoureux de mon cœur. Mes yeux rivés sur le ciel où les grives surplombant la colline chassent l’écho des noirceurs. Les tempes contre la vitre, je regarde dehors. Mes yeux clos voient passer ta silhouette derrière les pins et les genévriers qui s’endorment. 

 

Je te retrouve dans cet océan de pulsions invertébrées. L’instant est gorgé de failles, l’air circule à vive allure et nous traversons le vide. Nous touchons le fond des rivières d’encre et la parole devient peu à peu de la matière. Voilà le jour qui raffermit le vide et tu restes suspendue à la clarté. Chaque faille rend compte d’une présence. Nous perçons le réel à coups de lance-pierre. L’immédiat est une faïence, un vitrail percuté par des flamands roses devenus aveugles. Il y a une totale convergence entre le néant et la perte de la mémoire. L’avenir et le présent se résorbent dans la voix. L’absence mue. Il y a des trous d’air dans la parole, les mots crient dans le vent et le souffle de la disgrâce est à l’égal de la matière. Ce que je pense se respire. Une fois encore, nos corps de chiffons se drapent d’illusions. Mon cœur s’incarne dans le timbre de ma voix. Ce qui demeure insaisissable pointe du doigt là où il nous faut entrer nus comme des vers de terre. Nous sommes dos-à-dos formant un mur. Nous sommes face-à-face dans le vide qu’il nous faut escalader. 

 

Nous marchons dans l’étourdissement. Nous marchons dans le vague soupir des heures demeurées nues. Nos jours sont une accolade éphémère. Ils nous retournent des grappes de mots éreintés, des chapelets d’émotions embrouillées. Nous marchons dans les yeux de nos premiers regards, de nos premières sources, dos à dos avec les lèvres de nos rêves en exode, avec nos mains fermées, nos poings serrés sur cette secousse où nos vies se sont arrêtées. Oui, arrêtées et clouées. Des vies frustrées. Des vies dilatées de nos pas perdus. Nous sommes absents de nous-mêmes. Et nous filons sur cette bouillie de tourbe jusqu’à nous estourbir.  

 

Nous déraillons sur des heures que l’aiguille a sautées. Nous nous faufilons sur la pendule du périssable comme des navires épuisés de leur course. Il y a tant de gestes gommés, d’actes oubliés, d’images ternes restées derrière le rideau de la fenêtre. Des milliers de terriers et de ciels inoccupés, des riens dépossédés, des charpentes désossées où le soleil ne pénètre plus. Nous franchissons le mur du son posé sur des rabibochages d’existence et l’espace est une droite tendue entre les montagnes cabossées par nos fragilités.  

 

Tu vois, c’est à nouveau le débordement de l’air. La marée montante outrepasse les digues, l’inondation submerge la raison. Mon cœur bat, désinvolte et embourbé, dans l’émotion qui le dévaste. Mais il bat.  

 

Je ne sais plus les mots que tu utilises désormais. Je ne sais plus la raison des jours qui claquent sur les anciens reliefs. J’accoste seulement à cette poudre lumineuse campant derrière mes rêves. Demain, sans doute, l’embrase du temps dansera avec sa fougue habituelle. Et pourtant, le jour hochera la tête et il retournera ses yeux vers l’intérieur, vers l’être. L’être en soi. Et nous livrerons l’instant tout entier aux histoires vieillies et aux brises lames des raisons repenties.  

 

Tu vois, le désespoir, comme une érosion du temps, lèche encore nos sentis de cœur, nos frissons d’espérance. Mon amour est toujours constitué de ce même grain à l’intérieur du sable de nos durées. Nous devons nous hisser hors du temps, puis nous laisser porter par ces soubresauts et ces cloaques à bulles. Pour libérer le lien qui nous cisaille, il faut conjurer le sort et briser le destin de ses prérogatives dictatoriales. Nous sommes devenus le berceau d’un passé pleurant dans une nuit sans sommeil. Désormais, l’écriture ne confirme plus le temps, elle est le rejet d’une espérance aveugle. Partout, des lueurs lézardées tombent du ciel comme une neige fatale. Une boue blanche recouvre l’horizon et nos âmes imparfaites s’alignent sur un soleil sans ailes.   

 

Demain, c’est évident, il y aura une marche différente des autres et une allure nouvelle brisera les pas accomplis. Le passé sanglote d’une tendresse désincarnée. Plus rien ne nous ressemble. L’air a repris la joie de ton visage. Parce que vois-tu, si l’absence n’était pas ce qu’elle est, elle ne serait pas toi. Elle grimerait nos désirs, elle pasticherait le vide et elle nous ouvrirait la route de l’effacement. Des bouffées de froid quittent le territoire où nous avons promené. Tout ce qui précède nos pas, nous escorte comme un chien mal nourri suit la caravane qui passe. Nos mains sont encore posées sur le mur chaud. L’aube nous offre sa poitrine ouverte comme une prisonnière à qui l’on va tordre le cou. L’air se lisse, et nous glissons doucement de la lampe à la lumière.  

 

Le destin d’un baiser ne revendique rien au réel, il s’y soumet afin de mieux l’épouser, pour mieux l’accueillir. Ton absence est un devenir en friche. C’est une lande vigoureuse où s’écrème un silence tranquille, une inquiétude sereine. Une poésie est née là où tu as tranché le vif du jour. Et si le vide assassine toujours le concret, le temps, lui, ne réfléchit pas et ne juge pas. Il nous accorde l’espace rétréci où perdure le singulier de l’amour. L’ambre plus que le charbon, l’illumination plus que le désespoir tassé et tanné sous l’ombre grise. Une vie est morte, là-bas, dans le lointain. Le vide lui a chanté ses louanges.

 

L’absence n’est pas un chemin, ni même une course. Elle est une empoignade pour ne pas sombrer, pour ne pas chuter dans sa propre misère et pour ne pas laisser croire à la douleur qu’elle est inutile.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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Commentaires
S
Tellement de poésie sur ce chemin d'absence . Cette blessure ouverte se remplit de mots magnifiques.
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