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Bruno ODILE
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3 novembre 2016

Je veux vivre.

13510753_270198563340466_1251823234276229095_nLa proximité permanente avec la mort m’oblige à réévaluer incessamment le lourd statut de la mémoire et celui de l’expérience. Avant de les restituer, je dois chaque jour reconsidérer le lot de paroles avalées et recrachés par les souffles de ma voix.   

 

     Impassibles, des épouvantes auréolées

par la sève durcie se dressent

sur tous les chemins imaginaires.

                 Dissimulés de-ci de-là

au cœur du champ courageux de mon crâne éventé,

flottent des épouvantails sans tête,

et des rideaux percés.

   A présent, l’aube s'évertue,

   sans y parvenir complètement,

à chasser les idées brouillonnes.

L’horizon jette l’ancre à l’intérieur de mes braises.

   Nus et félins, comme un chat sur la lune,

les intervalles trimbalent quelque chose ressemblant

à un tombeau d’ombres et de clartés. 

 

J’improvise le levain de cette roue qui tourne et nous emporte. Le temps nous est compté, il modèle les formes et déforme l’arithmétique de la longévité. Je sais à présent que nos différences s’annulent dans l’instant du baiser, dans celui de la lèvre rose posée sur la joue prompte de l’exactitude. Toute cette existence, extrême et plurielle, nos tissus intimes la parcourent d’un infiniment à-venir. 

 

Ce qui perdure s’accomplit sans notre consentement. Il n’y a rien à attendre des reflets consacrés aux racines de nos vies. Dès à présent, nos respirations se défendent, se révoltent et se désembruinent du patrimoine sensuel comme de simples échos s’égouttent sur le versant d’un sable recommencé. 

 

Ici et ailleurs en même temps, mon présent s’active à démanteler l’amas de grains odorants qui fait mur. Obstacle diffus, branches abandonnées et poussières grises agglutinées empêchent l’écoulement fluide de la raison observatrice. Stoïque et ordonnée, elle s’acharne à ranger et à comparer le miel sucré des jours d’abondance et l’acidité de l’humus ancestral. Elle trie et classe selon les critères aléatoires de ma présence au monde.  

 

     Sous mes pas ondulés, la terre croise le vent qui se lève. J’en conserve quelques miettes argileuses et des instants boueux d’émotion. Mais l’impatience du monde contrarie inlassablement les rêves qui chaloupent dans le miroir de l’homme seul avec lui-même.   

 

     Rien ne tient, rien ne s’accroche

     aux parois glissantes du superflu.

Ce monde n’en est pas un

pour l’unité de ma perception.

     L’authenticité est toujours contrariée

     par les codes ambiants.

Je crisse et je tourloupe

lorsque la nuit venue,

je vois s’animer les mimes contorsionnés

de mes pensées vulnérables.

Levure aérienne, tenue en éveil,

je marche en moi-même

dans le beffroi de mes nuits d’apocalypse.    

 

Je suis un chasse-neige au pays des remblais. Parapluie sans baïonnettes, je flotte avec la brise du monde qui m’entoure. Peuplé de désirs silencieux, je porte-voix au néant comme un océan enragé s’aveugle d’illusions.  

 

     Je ne crois pas que l’on n’écrive qu’avec des mots. Il existe tant de manières pour exhorter, puiser, recueillir les bribes de nos sources profondes.

 

       Je n’ai pas dit mon dernier mot.  

 

Réunis dans la semence de la parole et dans le jeu de la patience, les mots scrutent la survivance des projets initiaux. Que trouvera-t-on sous la pierre et les gravats des heures mortes ? 

 

Nécessité de l’air dans mes poumons, je convoite sans raison apparente l’émerveillement dans son alternative courbée. Je veux boire au lait de la terre et à l’expression de sa fougue nourricière. Je croque aux chants des arbres et je chante du regard sur les ombres passagères.  

 

L’entièreté de chacun de nous s’étale sur toute la surface de l’univers. L’oubli serti à nos doigts, nous traversons le feu avant le plein jour devenu une simple paille sèche. Sans plus attendre, nous brodons et remaillons l’intervalle où nous sommes blottis comme des œufs dans un nid douillet. 

 

    Je voyage d’exil en exil sur l’onde fragile des visages anonymes. Mes sens cohabitent avec les paris de la raison dans la pouponnière des souffrances inéluctables. Serviteurs parfois mensongers, ils raclent l’air au sommet des herbes folles. Instinctivement, je rougeoie comme une langue jetée au feu et sur le vif, je rebondis à l’assaut de nouveaux espoirs.

 

       Je n’ai pas dit mon dernier mot. 

 

               Je veux vivre sans raison.

   Quelle tricherie m’éloigne des civières de la mort ?

Je veux vivre simplement ou simplement vivre.  

 

          La sève qui brûle mon sang décline la mélancolie accablante de la spirale foisonnante de la mémoire. Je suis un être sublimé par l’existence, je suis l’immédiat sans limite et je créé le présent qui s’élève par les pores du temps inconditionnel. 

 

Voyage, voyage… Dans la vibration absorbant la vitesse, la lumière rejoint mes mains aventureuses et fébriles. Je touche aux frontières où la musique du monde mythifie le réel pour le noyer dans le soupir du rêve. 

 

          Dans un paradoxe égocentrique, mes songes se diffusent librement. Un récital orchestré par les cerises flirtant avec le soleil éconduit la chaude respiration des ondes exaltées. Au loin, les réverbères éteints de l’univers murmurent la morsure du chaos.   

 

     Je ne crois pas que l’on n’écrive qu’avec des plumes. Il existe tant de manières pour extraire, creuser, dévêtir les bribes de nos sources profondes.

 

       Je n’ai pas dit mon dernier mot. 

 

Nous sommes des déserts et des nuages selon la soif qui nous occupe. Le temps est un gouffre de poussières aveuglées et aveuglantes.

 

Dans la redondance des jours, l’heure nous broie et nous refaçonne. Que nous reste-t-il de l’instant, entier et éphémère, pour convertir nos illusions en de fermes réalités ?

 

Nous sommes des débutants, des apprentis sorciers empêtrés dans les malfaçons de nos coursives fantasmagoriques.  

 

Il faudra faire pencher la quête de vérité sous les paupières malades des existences transfigurées. Il faudra dérober à la grâce du jour son éternelle jouvence. Le hibou qui hulule se soucie peu de qui l’entend. La truite remontant la rivière sait le lieu de sa naissance. 

 

Nos corps sont des fictions ostentatoires, des chorégraphies artificielles, des exceptions momentanées où danse l’aube perpétuelle. Nous introduisons nos imaginaires dans le réel chaotique des remous déferlants. Nous débridons les roulements de tambours façonnant l’heure à nos poignets. Nous ajustons nos souffles à la respiration de nos cœurs fleuris comme l’on assemble les jarres pétulantes du parfum des étoiles.  

 

Vais-je enfin danser ? Ferais-je surgir les sons de mon royaume qui ne se trouvent pas dans ce monde ? Il me faut sauter hors du rang et quitter la ligne tranquille de la monotonie instrumentée par la fatalité. Je m’échappe de la pierre, bondis comme le lapin apeuré. Comme le vent, je cabriole sur l’herbe pour mieux me dissimuler dans l’ombre du buisson.  

 

       Je me tiens aux lèvres de l’instant et, virtuel comme lui, je m’éclipse aux rabots de ma poigne et me dissous dans la pulsion instantanée. Fontaine d’air, je ruisselle à l’angle de ma peau. Sur la façade ensoleillée, je suis l’obscure tache de vin suivant son chemin sous les pierres. 

 

                       Ni heure, ni siècle, ni infini.

La durée occupe la matière

et tient debout sur l’espace survolté.

          Ma chair avoue sa surface

          à l’intensité de l’immédiat.

Sous la main de mes fièvres familières,

je couve une lune natale

restée captive de milliers d’étoiles disparues.   

 

Dans les temps morts, la volonté de vivre s’ingénie à dévorer l’intime part du sommeil furtif où se dilatent nos corps et notre présence au monde. Souffre le matin où le gibet d’humeurs toise les toits d’une peau déchirée par une pluie d’avoine et de noix dures.  

 

    Violence et vie se conjuguent, s’attachent et se fuient. J’existe pour faire la paix avec le néant, la paix avec l’éternité, avec ce poil trop long qui ne cesse de me gratter le cœur. 

 

La terre se détache peu à peu de mon sang.

                Je nage dans un océan sans nom,

je crawle dans l’éclat dispersé

d’une gaîté inabordable.  

 

          Je veux vivre et surmonter l’épreuve du vide avec l’amour frugal d’une première goutte de rosée. Au lendemain d’un départ sans retour, je voudrais m’assoupir dans le cœur de l’instant qui palpite. Loin de souscrire à la faillite des altérités humaines, toujours plus corvéables et serviles, je me dé-sédentarise de l’heure volcanique portant la plainte au-delà de son cratère. 

 

          Je veux vivre sans déployer tout azimut le regret d’une enfance encordé aux miroirs de l’identité. Je veux vivre en ignorant le puissant décalage qui existe avec la conformité de ma vérité intrinsèque. Je me désolidarise de l'écriture conservant une trace labile de la mémoire antédiluvienne que de multiples failles menacent.  

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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Commentaires
B
Des Mots bouleversants , merci , je veux vivre aussi ....Betty
I
"L'authenticité est toujours contrariée" oui c'est vrai et c'est tant mieux car elle est la vie ! Et quelle puissance quand on s'en approche ! On est ravi que tu n'aies pas dit "ton dernier mot". Texte superbe, un plaisir de te lire, merci S.
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