Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Bruno ODILE
Archives
Publicité
Bruno ODILE
Visiteurs
Depuis la création 46 183
Derniers commentaires
31 décembre 2016

Quoi de toi, quoi de moi ?

13529139_270207663339556_2430439253361360270_nQuoi de toi, quoi de moi ? Qui connait le chemin où se déroulent nos corps ? Le temps nous déplace, nous tourne et nous berne. Nos voix immobiles s’animent d’angoisses tendres et nos mains se resserrent comme un fil de cuir après la pluie. Une voie faite de deux, puis un rêve, un exode, un exil, et le déchirement de se taire pour ne pas recouvrir l’intime sensation faisant vibrer notre sang. La mémoire écharpée, un flot de communes différences dément nos tissus emmêlés. Les bruits sont partout. Une drôle de résonnance bleue s’engouffre sous nos peaux. Le ciel nous mange et l’azur nous confond. 

 

Page après page, l’écoulement de la source perce la terre de mille trous et, à coup de râteau, le temps ramasse des bouchées de souvenirs. Nous sommes accrochés l’un à l’autre comme une ancre à son bateau. Chacun prisonnier de son envol, nous cohabitons dans la distinction des mots et des voies. Nous sommes le relent d’alcool s’évaporant aux extrémités de nos souffles. Tu viens de la nuit, de plus loin que le sommeil. Mon prince, ma déchirure, je te porte en moi comme un cri s’enchaîne aux soupirs ordinaires. Je me fane au bord des crevasses imaginaires et tu prends corps avec l’onde humide naissant sous ma peau.  

 

Ta différence révèle mon identité au grand jour. Je m’oublie dans le regard qui me berce. Ta chair égarée dans la source semble tout retenir, tout contenir. L’eau des bassins de l’enfance me suggère l’opposition à toute oppression, le déliage des cordes et des liens égoïstes. Curieux, je te cherche au-delà de moi-même. J’habite un rêve bleuté sous l’ornière de l’image. Je suis à l’abri contre la butée persistante de tes sourires. Contre les arbres glacés, quelques rayons d’un soleil d’hiver incendient les branchages. La lumière s’ébroue avant de s’éparpiller au jour qui mâche l’instant. Tu glisses sur le coton de mes yeux et, immédiatement, l’horizon assagit nos dissemblances.  

 

Si la vie n’est pas une folle escapade de la lumière au cœur de l’abîme, qu’est-elle au juste ? Vers quoi irions-nous et comment ferions-nous pour nous épuiser au-delà des sources du silence ? Comme je l’ai fait avant toi, tu traverseras la lie de ton corps à la recherche de la beauté. Tu franchiras de nombreux carrefours, des plaines juteuses et des déserts brûlants. 

 

Tu marcheras à travers le sable, sur le fil des océans et parfois même au-dessus des nuages blancs. L’énigme vertigineuse de l’existence divisera tes élans et détruira un grand nombre de tes espoirs. La langue de l’air pourra, par moment, te paraître le venin de toute raison. D’un amour à l’autre, tu mettras à nu tes fantaisies et tes stratagèmes pour défoncer la pudeur de la chair. Chastetés accablées en quête de purification, l’émotion drainera les litiges jusqu’à l’océan de tes poumons. 

 

Mon fils aux poignets de cygne, aux cheveux d’alouettes, le jour de ta naissance était un jour parfait. Ni grâce, ni démon, sur la collégiale de l’aube. Seulement tes pleurs cristallins et ton parfum de vie nouvelle. Seulement la douce tempérance des moments heureux. Aujourd’hui, tout parait si lointain, muet et volatile. Je lis dans le temps envolé les grains d’air qu’ensemble nous avons semés. A présent, tu es là, gaillard et téméraire, et je suis confondu aux lames vigoureuses qui jaillissent de toi. Quoi de toi, quoi de moi, mélangés à ce point de rupture de la coque brisée nous vivifiant et nous séparant. Nous sommes chacun au cœur de nos prières et le jour présent raconte à notre place la distance qui s’effeuille.   

 

Si proche de toi, par arrogance et par naïveté, j’ai perdu la corde et le nœud alors que je creusais la terre pour les ensevelir comme des racines précieuses. Ne serais-je déjà plus là, invisible et sans murmure ? L’ombre floutant ma silhouette a-t-elle traversé de haut en bas le bruit du tocsin accompagnant mes pas ? Aurais-je avalé la poussière grinçant sur l’air dévoilant ma présence ? 

 

Je t’écris assis sur le promontoire des âges morts et, comme un enfant, je gribouille des traits sans importance. Je t’aime. Il fait noir, mais je t’aime. Des sueurs langoureuses giclent sur la façade de pierre, ma maison est vide, nous sommes tous partis à la rencontre du non-sens de nos êtres. J’ai froid et l’heure tremble. Il gèle dans la cabane de peupliers que j’occupe. Je ne sais pas, je ne sais plus si j’aurai la force nécessaire pour ouvrir la malle traînant à mes pieds. Je crois que c’est toi qui a la clef. Regarde dans tes poches, s’il te plait. Ma vie teinte comme du verre blanc.   

 

Viens ! Le jour nous appelle et les champs de rêves solitaires se ramassent à la pelle. Viens ! Faisons-nous la belle, fuyons les ressacs et les bruits de la brume en bataille. Mélangeons nos enfances, vivons d’insolences. Brandissons nos visages délivrés de la potence, allons flirter avec nos dissemblances. 

 

Il ne peut y avoir d’amour sans joie, ni de joie sans paix. Néanmoins, nos cœurs encore un peu masqués déambulent sur la corde de nos sourires. Effluves de joie brûlée, dilatation du fleuve sang, palpitations de la vase jusque dans ses clameurs minuscules, nous sommes guidés par la pierre et la terre. Toutes les voies sont sincères, aucune ne meurt dans l’haleine rétive des contre-jours. Je vais devant, mais pas sans toi. 

 

Je vais à la victoire, mais pas sans le monticule de défaites me précédant. Je drague l’invisible présence impossible à traduire. Ta vie patine sur mon cœur flottant en pleine marée. Mon « je » et ton « tu » arpentent ensemble les chemins de traverse. Sur le bas-côté, la trace de mes freins et la ligne de mes faims jonchent sur le sol. Mais on n’en finit pas d’aimer, chaque geste prolonge le vent de son souffle aspirant et, l’espace d’un instant, nous ne faisons qu’un.  

 

          Mon fils, mon arpent, ma source vive, joignons nos mains à la lisière des mots. Ecrivons d’une seule main le murmure soulevant nos bras et nos épaules. Nous sommes la fable du discours envahissant des gènes. Nous partageons la faiblesse des éléments et la grandeur de l’immensité. Aimer implique l’abandon. Submergé, l’horizon célèbre la beauté et j’embrasse la légèreté du lâcher-prise. Je suis inscrit dans le déchirement de l’aube, mes désirs naissent du présent ouvert et ils se cognent contre l’attente qui m’envahit.  

 

Odeurs de terre et d’images blotties en fagots sur le rebord de mes cendres. Tout au fond de moi, je touche à la lumière complice, à la joie éclatante. L’ivresse inonde mes racines et le voile des heures perdues disparait dans les fleuves endigués de mon être.

 

Je me risque à être dans la transparence. Une goutte de trop ou une goutte de pas assez. Une mouette perdue au-dessus de la colline cherche les vagues immortelles. Mais au loin, la mer déraille et se jette derrière la face cachée du jour. J’ai son aile blanche collée sur ma main et le goût du sel sur mes épaules. 

 

Je suis toi au bout des lames d’écume. Tu es moi dans le désir que je n’ai pas choisi. Les algues se souviennent peut-être de l’appel de la vie. Dans ta chair, mon cœur ne pense plus. Enfant marchant sur le vent, tes bouffées dessinent ton visage contre mon torse. Mon âme raisonne pour toi et déjà tu t’éloignes. Serais-je parti de moi-même ? Le chaos se perdrait-il dans un regard, un sourire ? Mon synonyme, ma particule, cela ne sonne pas faux. Et pourtant, fil ténu allant de l’aube au crépuscule, l’accroc du temps chavire le sablier. Ta voix est une note, un chapelet de rêve où se reboisent les clairières abandonnées. 

 

Entre toi et moi, une lune d’éclats dissipe la grise mine de la nuit. Un siphon silencieux avale la fraîche lumière. Au nombril du monde, des lacets coupés et des tisanes frelatées traînent mon sang jusqu’aux messes journalières de l’inconnu. Un trait tendu rugit sous la bruine, le passé regarde vers la mémoire distendue. Hier sauve l’apparence et l’instant précis réinvente l’horizon élargi. Chaque naissance nouvelle grise le vide et décalamine la solitude. J’ai perdu mes bras avec l’accent touchant des mouettes accompagnant les navires de pêche. J’ai perdu l’oubli sur le front des mers caressantes. Je te berce encore comme un essaim en sommeil, comme un ventre gonflé par la magie de la création. 

 

Sans le recul de la cogitation, le bon sentiment devient vite une plaie. Il dévitalise la volonté et crispe la crédibilité de nos meilleures actions. Rien ne va de soi, tout pénètre la matière sur la marge par l’air assoiffé de nouvel oxygène. Tu me décentres, lymphe des mammifères, je suis le père de la neige et de la vapeur qui sublime. L’onde des frissons voyage et la caresse de l’invisible nous retourne parfois la situation d’imposture dans laquelle on se trouve. Rien ne va de soi, tout pénètre l’existence là où elle se cache. Je t’accompagne et, en même temps, je jeûne sur ton chemin. Pourvu que mon message de vie ne se transforme pas en message de mort jusque dans ton propre corps. 

 

Compulsions frénétiques, l’organe du feu carbonise de pathétiques œufs de cafard. Dans le fouillis de mes heures creuses, la transformation s’opère à partir d’un infime grain de sable. Décadenassée des flammes de l’attente, ce n’est pas ma chair aux abois que tu entends mais plutôt le regard que je pose sur le monde. On peut aimer l’amour même s’il nous tourmente comme on peut aimer la vie même si elle n’est guère aimable. 

 

Il y a toujours cet appétit, cette curiosité du moindre à l’égard de l’infiniment grand. De multiples événements m’ont renversé. J’ai toujours eu l’opportunité de recommencer. Mon existence toute entière est construite pour résister au vide et à l’évanouissement. Chaque grenade de vie dégoupillée nécessite l’éloignement avant d’envisager un nouveau rapprochement. Prendre de la distance, c’est l’acte salvateur permettant de se repositionner avant de s’ouvrir à la lumière pour s’y épanouir. 

 

Dans l’abyssale effigie de toi-même, déloge les confidences secrètes de ton corps. Laisse gronder le volcan des désirs ; ils savent tes souhaits les plus fertiles, ils connaissent la voie tracée hors de la raison bâillonnant tes cris et tes grognements comme une vérité que l’on étouffe. Il existe des lumières en cerceaux autour des hanches, des ceintures brillantes entourant le vertige. Il est des éclats restés en rebut dans le désenchantement des laves mortes, des oripeaux cramoisis pour avoir soutenu plus haut les cygnes de nos vœux les plus essentiels. Il y a les limons et les pierres refroidies, il y a l’exactitude du message de la chair et la précision du corps de l’instinct. Il demeure en nous un feu sauvage et le hurlement du loup qu’il nous faut réconcilier avec la teneur du jour. Plus loin que la bave de la première heure, derrière l’apogée de la respiration, écoute le gémissement des étoiles lorsqu’elles traversent ton sang.  

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité