La respiration a un pied dans la mort.

Rien ne m’encourage davantage à déplacer le temps de sa course effrénée. Au loin, tout existe très fort dans les signes jaillissant par le ricochet des flammes réanimées. Ce matin, alors que le jour balbutiait à peine quelques pépites de lumière, j’ai pris le réveil sur la table de nuit et j’ai ouvert son boîtier. J’ai posé mes doigts sur la mécanique éventrée et j’ai senti le tic tac modifié de la cadence de mon pouls. Il n’y a pas de zones neutres dans l’escarcelle des émotions qui nous animent. Ma charrette est remplie de terre et de cendres mélangées. Malgré l’effroi du monde humain, des lignes et des surfaces gangrénées pointent leur nez, parce que plus haut dans les mailles d’amour sont restés suspendus le goût du jour, la saveur ancestrale des fruits juteux et les liesses interminables demandant la parole. 

Parfois, le bonheur est plus intense dans l’espoir qu’il suscite que dans la réalisation de l’acte. Et puis, il y a les terribles derniers jours d’une mort annoncée, il y a l’attente de l’ultime souffle, si violemment extrême. L’instant où la respiration a un pied dans la mort. Ce moment crucial où le souffle s’éteint après avoir lutté pour prolonger, pour durer encore un peu. Le désir reste allongé sur les branches du ciel, foutu et condamné, enclavé dans une attente définitive et sans lendemain. La promesse se repent à demi-morte, le visage déjà cerné par l’angoisse, les lèvres à la fois molles et crispées. L’excellence est boiteuse et la mire de la joie inaccessible. La morosité se retrouve à nouveau assise sur le regard assombri de n’avoir pu s’enrager de la perte. Et dans la fuite de la jouissance, crevée comme un ballon d’hélium au paroxysme de sa course, l’âme s’effondre de n’avoir su atteindre les plus hautes cimes.

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©