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Bruno ODILE
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15 septembre 2014

Le calme déferlement. (Suite 10)

enjolras_6N'allez pas croire que le monde est mourant. Nous sommes assis devant la fenêtre de l'irrésolu. Nous persistons à penser que notre conscience est l'aboutissement de ce que l'on vit. Que nenni, les mauvais rêves sont foison. Nos cortex sont la vitrine de ce que nous supposons la vérité. Le calme déferlement qui traverse mon cœur et ma chair laisse apparaitre des œufs prêts à éclore ; tous ne sonnent pas les rêves mort-nés. Mais, un défilé d’images tenaille la réalité bouffonne. Je suis désarticulé et la lumière que j’accroche ne sauve pas la joie qui, pourtant, m’inspire. Je suis un être de flac et de flocs. Je me métamorphose en herbe fragile.

Dans les toilettes de mon esprit convolent en juste noce l’aigreur du vinaigre des jours macérés et l’acidité de la mauvaise foi. Dans le grain de l’horizon, la promesse qui tient parole élucide la réalité mieux que personne. Aux prises avec l’abandon, Philippe Jaccottet me parle d’une promenade, il a remarqué un pré, un simple pré parmi tant d’autres, au bord d’une rivière : « Je crois qu’une fois de plus, » écrit-il, « peut-être du fait de la rivière proche, la lumière l’habitait d’une façon si tendre et si pure qu’il devenait une sorte de promesse » * Philippe Jaccottet, La Seconde Semaison. Carnets 1980-1994. Raconté par Gérard de Palézieux.

Allez aux essentiels, barouder dans l’ombre qui suit l’éclat, n’est-ce point s’évaporer partiellement aux doutes qui nous poursuivent ? Le gout de l’eau nous fait percevoir la solitude d’un autre œil. Matérielle et liquide, la transparence ajoute sa note de couleur. Que nous soyons à l’ombre rafraichissante d’un murier ou sous le soleil éclatant, la nitescence n’a pas la même ferveur. C’est l’onde que nous émettons qui donne le ton et la couleur. La femme est la guerrière du temps, elle procrée, racle et renâcle les orties qui poussent dans les alluvions. Elle réduit le chaos et fait distorsion de la vacuité. Elle conserve entre ses cuisses la craie de nos mémoires. Son ventre est un sursis à la douleur, un antre cristallin pour le cuir qui renonce à s’enfuir. Porte drapeau de l’humanité, elle se drape d’élégance pour affronter les buttes saillantes de la tristesse et des crimes saignants nos plus belles conquêtes. C’est dans le murmure de l’infini que le frisson devient la langue maternelle. Une source inétanchable abreuve nos dérilections.

Il faut réapprendre à bruler sa bibliothèque de vents contraires. Réarmer son souffle au tic-tac des êtres damnés, aux membres tors, aux gémissements de l’horloge biologique. J’ai l’intuition que les mirages occupent les bons sentiments empaillés et que nos paroles sont des cadavres jetés à bout-portant. Je pense à la pinède de mon enfance, et c’est, indéfiniment, une part fleurie qui tance dans mes fibres.

Peu à peu, les griefs s’abolissent. La frontière des idées reçues s’estompe, code après code, les mensonges sociétaux se meurent. L’odeur du pain, au petit matin, redonne à la voix ses parfums humains. L’esquisse du jour trempe mon chemin dans l’encre du monde. Je dessine ma main, puis mon corps et je respire à nouveau avec le souffle de la réviviscence. Tout l’air s’infiltre dans la pâte de la lumière. La banalité est une balle effilée qui transperce la monotonie, mais aussi, les tombes où se cache la lueur suprême. La lassitude est une terre insoumise, des herbes s’entortillent jusqu’à l’émanation du lait primal. Faut aller chercher le cash qui gesticule aux abords de l’acte immédiat. Sortir son cœur à la lisière des ornières de la raison absolue. Je ne sais s’il faut parler de liberté, tant elle est fragile et difficilement saisissable. Mais, il m’arrive d’être plus exalté que le monde, plus hurlant que les charretiers de l’espoir. Les fanfares de l’indépendance et du libre-arbitre résonnent sur le miroir des jours en brulis et sur les cassures immobiles des habitudes.   

Ce monde n’a pas d’excuse, l’hémorragie de nos rêves sans fond ruisselle dans les canaux adoubés par nos petites pluies intestines. Se contenter d’être vivant dans l’éclipse de nos joies, c’est, peut-être, composer avec le brulot des aventures passées. Tu vois, mon fils, nous sommes des loques droites face à l’horizon, des formes sonores vibrantes, vrillant dans la matière mentale. Je nage encore dans les souterrains de l’aube, je goutte comme la pluie qui trouve appuie à la fenêtre. Je porte mes doigts comme des lunettes et les yeux me piquent. Je fais le mort comme l’on fait l’amour. Il est des jours interminables où je plonge dans la sensualité des rêves innocents. Des jours où les fruits tombés de l’arbre remontent sur leurs branches, des livres qui s’écrivent phonétiquement au rythme infernal des caprices de la mélodie obsessionnelle des retrouvailles avec soi-même. Ce monde n’a pas d’excuse, il ploie dans la définition que chacun lui donne. La toupie tourne tant qu’on lui accorde notre souffle. Je suis une balançoire, un toboggan, une varappe au col en fripe.   

Corps habiles, labiles, le temps passe sous nos yeux et nous ne comptons pas. Nos fuguent fendent le ciel et les rivières s’étourdissent des cendres de la lumière. Nous sommes à la racine de l’émotion, tenaillés par les retenues coutumières, tailladés par l’âme d’un orage d’été. Nos chairs s’ébruitent, s’éparpillent et s’émeuvent de la détresse des égarés. Nos sens se penchent pour saisir le trépignement des dépouilles de nos simulacres. La parure du gel de nos effrois se déchire au seuil des chambres tristes. Plus rien n’est exemplaire, plus rien ne soulève la poussière de nos cris. Nos vies s’évident comme des carcasses d’ombres imputrescibles. Le temps se creuse et nous creuse, on se lamente à chaque piège, à chaque claque sur l’obscurité. Je suis la vie dira la chose tenue, la vie toujours trahie et toujours neuve. La matière est incertaine, la terre en orbite et nous dessus. Il n’y a rien faire que d’être là, que d’être intensément présent au présent. La nécessité des autres nous tient suspendus à la buée du temps.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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