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Bruno ODILE
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7 octobre 2014

Je suis abscons à la déroute de mes sens.

all20284Ma joie est embourbée dans le consensus socioculturel. Je ne sais plus m’autoriser la libre et pleine expression de mes ressentis. Je les cadenasse, les maintiens dans la norme, dans le vraisemblable qui n’offusque personne. Je suis un homme normal dans une société normale et je vis normalement comme tout le monde. 

Incapable de jouir à profusion, je cantonne mes heures aux limites des circonstances et des événements ; et je respecte les lois communes qui me façonnent. Je suis un homme raffiné au cœur d’un monde vulgaire. Je suis un homme prétentieux qui a peur et je redoute que le regard des autres fasse exploser ma tête. Je me comporte comme un marin fou, passionné par la mer et ses embruns, mais qui se prive d’acheter un bateau, transit par l’épouvante de la noyade. 

Handicapé physique depuis plus de dix ans, je me rassure de ne plus pouvoir accomplir de façon autonome tous les actes de la vie quotidienne en rêvant de l’insouciance de celui qui parvient chaque matin à s’habiller seul et sans aide. L’autonomie physique est un bienfait dont on mesure la grandeur lorsqu’on l’a partiellement perdue. Avec la restriction des mouvements, l’existence revêt un caractère très pragmatique. A tel point qu’il m’arrive plus qu’à d’autres de ne vivre que par la procuration que m’accorde la pensée.

J’ai pris l’habitude d’entendre les sons correspondant à ce que je vois. Dès lors, le simple murmure du pinson, le petit bruit de branches que l’écureuil agite, tous les mouvements qui raisonnent dans l’air me donnent la sensation pleine et entière d’être vivant. Installé sur les lèvres du monde, l’avalanche de solitude me laisse croire à l’immanence de l’égo ainsi qu’à ses conquêtes. Dans ma chair, tressaillent le baiser de la rosée et l’étreinte du vent. J’occupe le miracle du souffle qui erre dans mes fibres. L’intensité du réel, comme celle de l’imaginaire, dévaste mon sang et, cependant, je ne vis que pour atteindre le paroxysme de chaque situation.

Ma vie, mon cœur t’est soumis. Mon cœur, mes gestes te ressemblent jusque dans l’élan qui les active. J’ai l’absurde énergie du trémolo qui dévie le son initial. J’ai la parenthèse facile et la virgule agile. Le point que j’utilise ne ferme pas la phrase, il indique à partir d’où le non-dit se résume. 

Rien n’est perdu d’avance pour celui qui s’inspire de la détermination de ses désirs. Ami des étoiles, j’irai te chercher la lune même si je sais pertinemment que c’est matériellement irréalisable. Je t’offrirai des perles et des diamants quel qu’en soit le prix à payer pour y parvenir. Mon trésor, c’est dans le souffle de mon sang que je lui confère toutes ses capacités. Et si, ce soir, je rentre les mains vides, nous inventerons des joyaux encore plus éclatants. Qu’importe l’ivresse de l’infiniment proche, pourvu que nous sentions bouillir l’air que l’on respire ensemble. 

Dans le trop-de-soi, l’ennui impose la marche en avant. La vérité éblouissante m’empêche de la regarder droit dans les yeux. Il en va de la manière d’être, de la façon que l’on a de se comporter avec elle. L’espace est lui aussi un en-jeu.

D’un seul trait, je me sens être l’artisan marinier et l’artiste pêcheur qui lance son filet au-dessus du bonheur. J’affirme le réel qui me convient et j’accepte que l’on refuse de me prendre au sérieux. 

Parfois, j’existe davantage dans les mots que dans l’acte qu’ils énoncent. Des images artificielles nivellent l’élévation recherchée. Je suis abscons à la déroute de mes sens. Je vibre à toutes possibilités de modifier mon existence. Nomade perturbé, je vis d’exil et de pitances. Les coups et les échecs, je les ai conservés dans ma chair. La douleur profonde ne s’efface pas, jamais. Elle s’amenuise avec le temps mais ne disparaît pas. Je ne suis qu’une saison sans rythme, décalottée du monde. Imbibé de vie malgré moi, je me débats dans le manque et le gouffre de l’incertitude. L’influence du vide disproportionne le lieu que j’incarne. 

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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