Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Bruno ODILE
Archives
Publicité
Bruno ODILE
Visiteurs
Depuis la création 46 189
Derniers commentaires
23 janvier 2015

Tu grandis si vite…

femme_nueTu grandis si vite que j’ai de la peine à te suivre. Paysage de la vie quotidienne, écoulements au grand air, ta présence a modifié l’apparente surface des choses. Nous ne sommes pas faits pour une seule vie, un seul espace, une seule géométrie. Trop d’encombres et de désirs jaillissent de toutes parts. Peu nous sépare du trajet que nos origines ont su imposer à notre sang. Nos souffles soulèvent les feuilles mortes et, dans nos poitrines grincheuses, grondent des loques d’évidences. Le métro des heures lasses passe son chemin comme un serpentin oscille à la vitesse de la lumière.

Une déesse noire se tient aux cimes du jour. Une voix frondeuse déracine les plantes de la terre. Tout le consumé de l’arrière temps revient sur mon sable comme une vague essoufflée. Que devons-nous écouter ? L’arbre qui frissonne devant soi où la baie ombragée qui diffuse les parfums d’autrefois ? Hier encore, dans le désert de l’eau, des microbes remontaient la rivière comme des truites obnubilées par le devoir de la ponte à accomplir. Le temps mûrit sans se soucier des griffures qu’il laisse traîner sur les parois de l’aube fleurissant sous nos yeux. Masse de sable blanc recouvrant des coquillages, le vent ne t’oublie pas. Il spolie tes dunes et modifie tes formes jusqu’à l’épuisement.  

Tu es tombé de mes rêves, enfantant par ta chute le jardin d’un Eden de talc et de crème apaisante. Tu as quitté ma chair comme un grumeau d’air expulsé par le désir incontrôlable d’un bouchon de liège remontant à la surface. Créer, donner, sans rien perdre de soi, de sa vie et de son exaltation. S’accomplir par l’acte et devenir peu à peu l’être qui sommeille en soi. Peut-être est-ce dans ce partage essentiel et subliminal que l’animal cloisonné dans ma chair révèle toute sa grandeur et sa magnificence ?

Ta présence en ce monde est l’accomplissement de ce rituel qui porte l’humanité au-delà de sa fonction procréatrice. Te sentir, te voir et te toucher me donne l’impression d’un dédoublement paradoxal : tu es moi, tu n’es pas moi, nous sommes une même pente vers le néant. Notre sang commun est la réparation du monde. Nous cumulons et répartissons la graine folle d’un combustible mémoriel qui nous échappe. Vivre, exister, c’est peut-être cicatriser la faille d’où l’on vient communément.

Nous sommes probablement le repérage de l’indéchiffré. La course du chaos dans son insoutenable élan brise toutes les traces physiques qui pourraient servir de jalon pour mesurer l’impact du vivant sur des terres hostiles. J’ai contribué à te donner un corps, une apparence tangible mais tout la matière ainsi partagée n’appartient qu’à toi. Pour chacun de nous, les fantômes traversant nos moelles n’ont pas les mêmes souffles. Tu te distingues par le vertige abyssal de ton identité, par la particularité des rictus de ton âme. Ensemble nous forgeons le pain et le vin de nos contemplations, mais nous les digérons individuellement. Chacun de nous est un filtre aux mailles intrinsèques. Le Je intime fredonne quelques arpèges de la même teneur, mais nos peaux ne réagissent pas de la même manière aux harmonies passagères.   

Par quelle soif étrange nos verres se tarissent ? Métamorphoses des profondeurs, l’intrusion vive de l’affection vient scier la branche où l’oisillon tente ses premières envolées. Je ne t’ai pas vu grandir, je n’ai pas vu s’étendre le duvet sur tes joues d’enfant. Ta robustesse s’effile devant moi et elle me repousse dans les contreforts de mon encre native. Les heures du petit matin défilent si vite encore que le rapprochement a du mal à s’affranchir. Je n’arrive pas à véritablement voir ce moment où tout commence et ces berges neuves où je me fais des signes. Des algues tressent ma voix où tout s’enfonce. Sous l’ondée, dessous le coude du soleil, il y a tout le vent qui pousse et me pousse. Suis-je moi, suis-je toi ? Une foule d’excipients multiplie les jambes de ma solitude.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité