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Bruno ODILE
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Bruno ODILE
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31 janvier 2015

Le temps d’être

Peinture_femme_nue_2Le temps d’être commence toujours trop tard. J’ai oublié ce que je ne sais pas, ces bouts de lèvres humides qui attendaient je ne sais quel miracle. Temps perdu aux encornures du savoir, le bien et le mal restent suspendus aux tréfonds de la mémoire comme un seul linge sec sur l’étendoir des jugements apocalyptiques. Je n’ai pas la mesure, il n’y a pas de mesure autre que celle de l’émotion. Aussi, je me perds comme une montre arrêtée enfouie sous le sable chaud d’un désert. Je m’échappe aux tic-tacs séculiers, je fais du rappel sur la falaise du temps. L’instant qui s’écoule ne supporte plus la rétention. Tu es présent avec lui et vous m’affirmez de cette emprise qui déjà me ronge.

Quartz lapidaire. Quartz aux multiples facettes polies, tu ronges jusqu’à l’infime tentation de poursuivre le ruisseau de sincères témoignages. Mon enfant, mon sureau, l’angoisse qui m’étreint est impalpable et sans nom. Mon cœur fourche et ma langue trépigne face à l’hérédité qui ouvre le monde. Avant ta naissance, ma vie était déjà un couperet. Aujourd’hui, dans tes mains, je suis une ogive implosant de joie au milieu de la mêlée. Une pétarade de fleurs comblées par le soleil s’émerveille de ne plus être retranchée au cœur des herbes et des fourrages séchés. Chaque seconde qui passe redessine pour moi seul une relation au monde animé par l’instinct et les sens.

Concession 3587, allée de la lune, tombe des étoiles. Juste à côté de la place inoccupée.… Des rêves, des étendards sans corde et puis des fenêtres ouvertes et des océans sans adresse. Tu ne seras jamais moi et je ne serai jamais toi. C’est indépassable cette idée-là, indépassable comme un respect, comme un contact inhumain. De la fraîche odeur remontant du puits, j’entends le chant des lucioles comme un halo de conscience responsable, les mains accrochées aux pierres et le cercle du bonheur bientôt à la surface. Les cendres de l’ombre craquant sous les semelles, ton visage me déterre de la moisissure de mon sang. Fleur de quartz incassable, la tendresse translucide galope dans l’onde rampante. Enfant de la terre, fils de nul pays, grain de silice, tu rayes la surface de mes jours avec la charge absolue. 

Mon instinct à contre-soif, j’alterne du ravin où s’effondrent tous les messages exaltés, aux terres désertiques brûlées par la soif elle-même. Tu es grand, beau et aiguisé comme une blessure de flèche. Courses aveuglées, blanches cavales, fougueux comme un cheval sauvage, tu dévales les torrents de bauxite. Comme je l’ai fait avant toi, tu erres sur les cimes calcinées des jupes des femmes. Tu t’exiles dans les profondeurs des gouffres pour échapper aux hurlements des cicatrices qui longent tes veines sans que tu saches pourquoi. Il faut être et tu le sais. Mais l’histoire cabrée sous la glace te maintient éloigné de toi-même. Maintenant, nous partageons cette étrange sensation euphorique d’un corps qui voudrait oublier d’être né.  

Et si nous sommes la même herbe, est-ce seulement nos racines qui s’enlacent ? J’ai tant marché à travers l’éclair que mes archives brûlotent encore sur le ponton d’une tendresse invisible. La femme que j’ai tenue dans mes bras est toujours une fumée qui tremble, un peu d’eau et de l’air au-dessus d’une jouissance qui murmurait déjà ton prénom. Des fleurs ont brisé le crépuscule et son ventre parfumé par mes angoisses ont eu raison de mes soupirs de fauve. Rien n’est si lointain que ce qui me semble proche, et réciproquement. Dans l’avide coqueluche des jours sans piment, ta mère, mon enfant, est une stèle érigée pour que les labyrinthes des lunes baveuses n’effacent pas le serment de nos gènes.

Rappelle-toi, j’ai tenu ta main dans les couloirs de l’anesthésie, j’ai porté ta voix au-dessus de la mêlée des blouses blanches, j’ai crié ton prénom devant la porte qui s’est refermée. Rappelle-toi, des années plus tard, la vie dans sa boucle incommensurable t’a conduit à faire les mêmes pas pour venir me caresser du regard alors que je n’étais plus qu’un crabe dans un incendie de peurs. C’est dans les rafales de blé que l’odeur du feu laisse son empreinte. La raison s’irrite de ce qui la dépasse et c’est en pleine clarté que nos cœurs sont devenus des baisers poignardés par le silence tout-puissant.  

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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Commentaires
L
Merci à toi, douce Sedna.
S
Extrémement beau. Chaque mot est porteur d'amour.
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