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Bruno ODILE
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4 juin 2015

Résonnance (12)

images4EA3H7U4Faudra-t-il gratter du bout de l’œil l’ombre qui s’avance sous la langue ? Des chimères déguisées de la graine à l’épi murmurent des stances laborieuses. De l’ombre teigneuse jusqu’aux cimes étoilées, la mémoire s’enroue puis parachève sa course d’un souffle sur la bougie. Du sombre quotidien rejaillit l’espoir comme un champ de blés s’éteint pour revivre d’autres printemps. Alors que tout s’achève en chemin, les songes ressemblent à des volcans ininterrompus où tout se perpétue.  

 

Mémoire lasse, repue sur le buffet poussiéreux, l’humeur s’engorge de brèves nostalgies. Le temps, emmuré sur l’heure persistante, se défait puis se guérit tristement de ses fêtes et de ses défaites. La grisaille s’épuise comme un feu s’étouffe dans l’onde qui s’écoule. Pudeur entamée, les sifflets du silence cornent la page déserte. Il n’y a rien dans l’avarice du lieu de vie qui puisse dérider les bémols cachés dans le rideau qui me tombe dessus.  

 

                                                                             Qu’un pas me sorte du sillon. Qu’une brassée de camomille sulfate mes poumons. Me soit destin, ni demain, ni plus loin. Je crame ici, je brûle et me consume niaisement dans la cornemuse des voix. Pourtant, ni la mienne, ni celle des autres, dans la promesse du quotidien ne s’affûte sur les lames du soleil. Je bêle comme le grain de blé sous la langue du meunier. Vapeur de farine dans les ailes du moulin, hautes cimes aériennes du levain, je gonfle comme une pate abandonnée dans la fournaise de l’âtre gorgé de bois sec. 

 

Tout se tait. Au fond du terrier, la parole exige une chaleur à investir. Le liséré tiède des syllabes arque les mots devenus des flèches sur des cibles discrètes. Une chaussure aux pieds des soldes attend l’ivresse d’être choisie. Je suis l’absence où s’écoule mon corps, je passe comme la rumeur populaire dans les hoquets du monde. Plus loin, des bouches à semi-ouvertes forment des ponts de pépiements incongrus. J’aiguise le flanc de mes lèvres sur la passerelle des voix et, sur les berges de l’attente, une volière d’écume capitule sous la chaux vive des grilles atones.

 

               Dans un espace circulaire, un champ semé d’amour répète le volume. Le cercle réconcilie le corps dans une langue de gestes. Dans la trainée, mes baisers me suivent, désarticulés comme des volutes fantômes. Solide comme un roc d’aubépine, précaire comme les cils d’un nuage, je voyage d’une pirouette légère sur la tempe de mes frontières. La joie dilate les contrepoids tout en faisant fondre les fleurs ardentes au jardin de mes sens.

 

Parler pourtant est autrement. Sous le bouclier de la pudeur nubile et des versets affectueux, des chrysalides cotonneuses modifient le chant des sirènes en un corps de paille pour mon cœur de papillon. Tout s’envole dans la phrase lâchée avec le vol des étourneaux qui s’élancent de mon esprit. Mon crâne est le nid de la foison amoureuse, il boit à l’ivresse du verre fragile de l’émotion. Une mélodie ensorcelante envoute les taillis me servant de refuge.

 

Parler est autre chose. Le ciment sec enveloppant les murs de ma maison s’égrène dans la voix devenue poussière. Pas de doute, le mortier dans la gamate des heures mortes a dû lourdement crisser avant l’osmose de l’eau et du sable.

 

               Debout sur la terre d’amour, l’aile frémissante du merle moqueur s’accorde au solfège de mon cœur. Sacrebleu ! Toutes les tempêtes se rassemblent dans les jambages d’une seconde millénaire. Un instant de jouissance écarlate déraille sur mille rails avant que ne sonne le rappel d’un vertige surréaliste. Mon œil est un coquelicot qui s’égoutte sur la roue de l’ardeur. Je coule sur la pointe du fouet qui me lacère.

 

                                                                                    Tout ce que j’ai acquis depuis l’enfance est à présent déformé et en partie oublié. A cette heure, le miroir me renvoie le visage des mots sans lumière. Mon argumentaire serait piteux si je vous disais combien mon vocable s’est désarticulé. Seules quelques joies retrouvées dans des poèmes d’autrefois résonnent comme si la parole rejetait ses cancrelats.  

 

J’aurais aimé parler sans noyau, sans évocation, simplement tirer un trait. Mais, je n’ai pas su lâcher la poignée d’orgueil qui me tient à l’écart de la transparence. Non, je n’ai pas su délivrer mes mains de la ténacité du réel où s’oublient les rêves.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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