Je te le dis, il n’est jamais temps de partir.
Nous n’avons que faire des heures rouillées. Nos marteaux ont des chutes qui étament nos langues. Nos bruits intérieurs proviennent du tumulte de nos sangs mélangés. Ils refluent dans notre ciel comme les oiseaux qui vont rejoindre les contrées lointaines de sable chaud et de silence.
Je te hisse comme une voile blanche au-dessus de l’alpage où tes yeux se sont endormis. Il faut que l’Amour redevienne une plénitude. Il me faut abolir ce cercle d’espérance acculé à la déchéance du paraître. Nos vies comme des pendules arrêtées se fraient un chemin parmi la splendide cacophonie des marmites en ébullition. Nous croisons des fumées acariâtres à chaque carrefour, à chaque coin d’ombre. Mais, nous n’oublions pas la clarté des cimes où nous avons partagé la douceur du monde.
Ce n’est pas la solitude qui fait l’isolement. Nos choix sont des lampadaires invisibles où s’accroît la lumière intérieure. Nos mains sont restées offertes. Nos corps se sont dissipés pour laisser place au tarissement des ombres et pour inviter la clarté à rejoindre les boucles de nos cœurs.
Je fourmille comme une descente de lit tremblante sous le bruit des pieds prêts pour le départ. Aujourd’hui, je tente de naître. Je dérive vers la construction d’un autre moi. Je franchis la montagne où l’infini semble à portée de voix. Je rejoins la terre et tente de lui restituer la parole qui capture l’éphémère. La terre, ce cauchemar de cendres, tourne dans mon sang comme une toupie désorientée. Elle fond comme une peinture au soleil. Ma vie sensible, ivre de désordres, se plie dans ton regard. Deux pôles opposés prennent conscience de la proximité de l’effondrement. J’ai la certitude que le soleil cache d’autres lumières.
Nous sommes tout au fond du noir, à mi-chemin entre l'éblouissement et la fureur. Ici, chaque battement de cœur est un miracle de blancheur. Notre amour cherche à rendre la parole aux ombres dans lesquelles nous marchons. L’absence est un désir mort, une extase sans respiration. Maintenant, je sais de quoi se nourrit la patience. Une rumeur de mille voix aiguës dégrafe l’écorce du mûrier, la soie déborde sur nos refuges mal fermés. Les limites du silence sont les grilles qui nous séparent. Il faut nous extirper du feu qui brûle dans nos ventres. Il faut étouffer la rage des flammes qui se propagent à la vitesse de l’éclair et faire confiance à l’aube nouvelle pour sortir du cadre où je t’improvise. C’est la vie qui brûle, pas nous.
La date de ton départ sonne à mon esprit comme un relent mortuaire qui laisse ma gorge desséchée. Dans mon sang, le souvenir de la roche et du granit circule à vive allure. J’ai le pouls gonflé par des battements de cœur accélérés. A cette heure qui me déplait, le mouvement circulatoire de la mémoire compromet par son rappel perpétuel le mariage d’ancestrales bouffées fraternelles. Des pensées anciennes déconstruisent l’immédiat, elles tirent des flèches empoisonnées depuis les quatre coins d’une terre abandonnée. Le vide s’enroule autour de mes reins comme un désert sans fin. Mes larmes sont un lit de vagues pour les falaises de craies. Mon cœur écrit avec l’obstination de ses blessures.
Je te le dis, il n’est jamais temps de partir. L’heure décroche et la pendule est morte dans la marge aimantée qui trouble les boussoles. Il n’est jamais l’heure de céder aux sinistres gloires de l’obscurité. Le noir est avide des soleils blessés où roulent nos corps de poussière. L’absurde néant foisonne partout où le cœur ne bat plus. J’ai renoncé à l’éternité sans faille, j’y préfère ta silhouette blottie dans la précarité de ma bouche. Chaque année à la même période, les seins glacés de l’hiver fardent ma nuit d’une ribambelle de nuages grisâtres. Mes vœux de rassemblements sont restés scellés dans le silence. Ma tristesse glougloute comme posée sur un poêle. La marmite est bouillante et mon corps tout entier plonge dans ton absence. Je saisis la trame claire de l’existence mais ne la pense pas et ne la prévoit pas. Je suis recroquevillé sous tes yeux qui portent l’évidence de tes secrets.
Des limons bleus sont restés enchevêtrés sur les contours d’une coupe vidée de son vin. Nos poitrines flottent sous les draps de longues nuits accoutumées aux récits. De nouvelles caresses infructueuses déposent leurs grimaces tordues sur la gerçure de nos lèvres. Du givre illumine nos rêves brûlants sur l’aube inaccessible. Ton cri est une porte ouverte sur la saignée où s’écoule le mot dit, le mot prisonnier. Il n’y a pas d’anniversaire pour les jours décharnés de la pulpe de nos frissons. Il n’y a pas de répit pour l’heure cruelle et je mords aux rideaux qui cachent ta disparition.
Les mots ne quitteront pas la terre.
Ici, tout semble mourir
La parole outrepasse le vide
Ta voix est un paravent de fortune
Tu es sur le papier
Comme un signe sous l’ombre
Le sens de l’existence est contaminé
Les veines du temps
Transportent tes yeux
Par-delà le deuil qui les recouvre
Nos âmes au centre du monde
Prêchent dans la faille
Où s’est glissée la mémoire
Le témoignage complice
Des langues enfouies
Et porteuses de cendre
Dehors le vide rechigne à s’avouer
Il sécrète deux mondes
Celui où je suis et l’autre
Où tu es partie
Collines dissociées
A la migration des montagnes
Nuages de chair
Envolée
Dans une absence souveraine
Le chemin qui nous rassemble
N’est plus de ce monde
Nos langues brillent
Du vernis de nos empreintes
Je t’aime
Je te le dirai après l’agonie
Je te l’écrirai
Sur la pierre égarée
Dans mon cimetière jubilatoire
Où les fées parlent
Aux hommes
Où l’amour décapite la nuit
Pour laisser fleurir ton soleil.
Les mots ne quitteront pas la terre
Et nous reconnaîtrons le désert
De nous-mêmes
Dans l’orgie du sable
Deux mots, c’est encore trop
Pour le vide qui nous assaille
Nous sommes sur le fil
De la solitude
Dévoués l’un à l’autre
Le temps n’est rien
Et ne maîtrise que lui-même
J’ai un cierge dans la voix
Nos chemins sont des fumées
Chaque nouveau labour
Est une renaissance
Que la mort ensevelit aussitôt
Ma prière est vide
Aussi vide que mes paroles
Sur la page d’écriture
Je ne suis que traversées
Et résonances.
L’amour n’a de grandeur
Que l’envolée qu’on lui consent.
- Bruno Odile -Tous droits réservés ©