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Bruno ODILE
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21 avril 2014

Souffrir d’exister.

thumbnailCA0FXF39Sans un retour à soi plongeant tout au fond de nos cicatrices existentielles, il est improbable que nous puissions nous développer avec la pleine rassurance d’un corps bien fait avec une tête bien pleine. Par l’absurde, je dois admettre que l’opposition qui m’éprouve se situe entre ce que je veux et ce que je n’obtiens pas. A condition que ce que ce que je n’arrive pas à délier ne soit pas une épreuve fondamentale. Que dois-je faire du libre espace demeurant entre ma conscience et mon imaginaire ? Dois-je m’affairer à rêver l’existence que j’aurais pu avoir ? Rien n’est moins sûr. 

Je cherche mon visage parmi les débris sur lesquels j’ai usé mes semelles. Parfois, tout me semble si éloigné de la vie que j’en deviens avide. Je m’épanouis dans le silence chaste de la promesse qui claque sur le perfectible de mon être. Je veux me rejoindre malgré les gravats qui retiennent la porte. Porté par une forme d’insouciance, je soulève le chapeau du jour et m’engaillardis de la lumière. Le cheminement fugitif s’effectue entre angoisse et curiosité, mais la confrontation est inévitable. Enfant déjà, je portais la lune au-dessus des quilles qui s’effondraient et le miroir du ciel reflétait la multitude de chemins possibles pour accéder à la clairière. 

« L’important n’est plus de courir pour faire quelque chose, mais de s’arrêter pour rêver, regarder le ciel, discuter avec un passant. C’est respirer l’odeur du café qui s’insinue dans celle du désinfectant, sentir son corps, échanger avec les yeux… Retrouver ce temps d’enfance, c’est comme lire un poème ». Danielle THIEBAUD.

Assailli d’ombres et de marécages, je pénètre dans l’anneau boueux où réside mon inconsistance. Amour et douceur de vivre laissent croire au paradis et je ne sais plus quelle place peut conserver l’utopie, l’image immobile où se concentre le voyage intérieur. J’épouse l’identité du circuit lui-même et je perds la trace de mes pas. La beauté n’est plus un signe ignoré, elle arpente, invisible, tous les horizons où ma conscience s’ébahit. Mon cheminent dans la brume me dispense de fuir. J’ai dans le cœur une fête perpétuelle que j’ignorais. L’objectivité est un but à atteindre, mais la joie n’est pas une attente sans issue. Rien n’est parfait, pas même la rage d’exister. Dans son erreur fondamentale, l’existence pleure sur son sort mais le goût de la joie me donne envie de persister.

Que vais-je vraiment voir de tous les rires qui ont approché l’espoir sans dérouter la grande douleur du monde ? Que reste-t-il de la joie dissoute qui crache son mégot dans la brume ?

Lumière adossée au néant, je suis une prune greffée sous le regard recouvert des feuilles. J’ai mille soleils dans mon gosier, des ruches et des grelots sur le bout de la langue. D’un arpent souriant, j’ai fait une piste d’étincelles et d’une pente généreuse une glissade initiatique. Apatride de l’évidence, je tourne le dos au passé sensible. L’aurore est une seconde nature où je puise des exils escortés de revanches. J’habite la seconde qui dit oui, qui dit non, je suis amoureux d’un papillon.

Les jours de gueule de joie tapissent l’absolu d’une mort sans contre chemins. Un rideau musical fait barrage à l’assurance-vie où refoulent des griefs par centaines. Mozart brise la vitre qui me sépare des marguerittes. J’existe entre l’abandon et la révolte. Je coordonne le gravier à la poussière, je simule le vent partout où l’immuable redondance de l’air refuse de pénétrer.

J’ai le déclic dans le cœur, l’amandier en fleur pousse dans mes chaussettes et l’arbre de vie repousse les frontières factices de la torréfaction des humeurs chagrines. Rien n’est rangé dans la valise trouée où dorment les perfections intouchables. L’idée d’un toujours mieux est absurde, elle fauche l’orbe naissant sans goûter à la paille. Elle dévitalise la ruée possible du jaune au cœur de la grisaille. Elle supprime l’étonnement qu’elle reporte à plus tard. Elle sacrifie l’urgence de la joie aux déploiements factices d’un bonheur incomparable. Mais, rien n’est là-bas qui ne serait ici. Il y a quelque chose de parfait qui rôde dans la métromanie de mon corps devenu témoin d’une pensée en déroute.

Tout est donné, il n’y a pas lieu de chercher ailleurs. J’habite une grande malle d’osier où se prélasse, sous des habits de chiffon, un soleil en faction sur les remparts du monde. Dans le cafouillage, sous la veste de l’hiver, un chagrin douloureux persiste à vouloir s’échapper de la poche où quelques friandises se sont amassées parmi l’ennui et la désespérance. Aveugles la peur et le désarroi s’entremêlent à la bobine de chair. Mais, le souffle de vie presse le jus de l’instant qui passe. La brume n’a plus rien à dire là où se meurt l’odeur de l’herbe fraîchement arrosée.

J’accoste l’été au cœur noir de la forêt de grêle. Je n’attends pas. Tout est léger, suspendu comme une feuille morte portée par le vent. Peut-être ne plus attendre est le bourgeon de la perfection. Je reçois la rosée des ombres infectées sur mon visage et c’est à présent l’esprit qui convole vers de nouvelles parenthèses inattendues. Le jour s’enfle dans un mirage de beauté. Des hydres inconnues se propagent avant l’avènement de l’oubli. Instantanément, mes sens s’accouplent à l’horloge qui sourit à l’aube primitive. Demain, je ne sais plus qui je serais, je frémirai avec le goutte de sirop de prune tombant sur le roc où s’endorment les reflets.

 

Extrait de : « Le désappointement et la joie. »

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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