La ligne des départs manqués.

L'éternité n'est pas sédentaire, elle remue au fond de chaque gorge de lumière. Je décide aujourd’hui de réhabiliter le plaisir de vivre. Je lui ordonne de détourmenter les aubes à venir. Je suis dans la clarté comme la première lueur du jour. Je vogue sur les vents chauds et je rame au-dessus des bois naguère. Je file comme une chaloupe par-dessus le théâtre volubile des tragédies anciennes. Je porte avec moi le souvenir des voyages au pays du chaos sonore au centre d'un paysage désaccordé et décentré. De mon cœur fêlé émerge par relents saccadés le bruit des becs d’oiseaux inondant mon ciel de clémence. J’habite les arbres de la forêt et sur mon front un lierre de bonnes intentions recouvre l’amertume des jours vidés de leur contenu. Depuis que le sécateur du hasard a tranché les heures douces, j’escalade le message silencieux conservé dans la terre. Je suis capable de rêver sans m'interrompre, aussi longtemps que la vie me le permettra. 

La main du destin est la copie de la foudre. Ce que je ne peux plus saisir avec mes doigts, je le mange comme un gâteau des Rois sans fève. L’extension du vide, c’est de l’air qui recule. Et, moi, j’avance sur la pendule qui a cessé de tourner. Qu’importe que le vent pousse les étoiles, mon bras grimpe jusqu’aux larmes qui brûlent mes yeux. Une flaque d’humanité s’évapore, je suis tout proche de la ligne des départs manqués. Ce qui marche derrière le guichet des jours, c’est toujours la même plainte que les cœurs ouverts ramassent. Les plaies de la lumière cicatrisent sous mes paupières rougies. Je suis l’homme des ports assis sur le quai abandonné, mes valises pèsent une absence qui s’épure. Marinier des hautes voltiges, je m’en vais vers un ailleurs improbable.

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©