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Bruno ODILE
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10 janvier 2015

Peut-on aimer sans l’espoir d’une revanche sur le désastre ?

VicenteRomeroRedondo10_zpse10d5797Peut-on aimer sans l’espoir d’une revanche sur le désastre ? La réplique attendue par les sens pourrait être inconvenante. Mes rêves n’ont pas la prétention de refaire le monde. Ils libèrent le souffle de mon cœur resté dans tes mains. Ils projettent nos éclats sombres sur un horizon flamboyant. Et en soulevant bûches et ronces, je me détache de lui lettre par lettre.

Dans mes veines tout n’est que failles et désordre. L’illusion de l’unité de soi s’éparpille dans les marais obscurs du dérisoire. Lorsque le noir nous maudit et nous rejette de son territoire, tout se replie au fond de la jarre de l’inassouvi par la seule absence d’étincelles.

Je t’attends toujours dans la soudaineté d’un événement plus grand, dans l’ornière furtive par laquelle passerait un peu de lumière pure.

Sur des gravures imaginaires, des silhouettes sévillanes jouent à cache-cache. Un visage flou et difforme s’avance sans mot. Le dialogue intérieur s’invente à tire-d’aile. J’ai couru toute la journée dans la plaine verte. J’ai rassemblé les parfums de terre et de soleil pour tresser ce bouquet d’émotions. Et, je chante pour toi, comme une armada d’hirondelles inonde le ciel un soir de juin. 

Mais il y a quelqu’un qui manque ici ! Il y a une trace vide et un regard de sacrifice. Une perte indéfinie. Dans le tremblement de vivre, un rêve endormi recoud toute une panoplie de gestes et d’apparences périphériques de je-ne-sais-quoi, de presque rien. Un monde chu envisage de transpercer l’écran de mes songes.

J’attends depuis si longtemps que l’effacement permette une voie nouvelle. Et toutes ces heures différées sont devenues une diffamation du réel. D’énormes arriérés grotesques font le pied de grue aux portes des souvenirs désarticulés sans trouver de repos à leur sort. Pourtant, il y a tant à faire et à dire. Il y a la redondance de l’impatience qui fait mouche sur la vitre transparente.  

Qui sait si en ce moment même, tu ne lis pas au travers de mon âme ?

Je t’ai perdue entre les plis de l’arc-en-ciel. En un instant, toute ma lumière intérieure s’est volatilisée dans une décharge d’étincelles, puis elle s’est liquéfiée dans la suie noire que le vent emporte.  

Je suis le berceau du rêve qui me berce. Je te porte en moi comme une enfance qui grandit trop vite, comme une goutte d’espoir devenue sèche aussitôt la chute. Une frange de l’aube tombe dans mon gosier. Je ne peux plus te demander un baiser pour la nuit. J’ai rêvé le jour dans un long manteau de sang. Nous deux, autrement ; nous deux, distinctement repliés dans l’unisson déconcertant d’une expression qui n’avait plus de nom. 

De l’angoisse à l’extase, la perte se confond délibérément avec le parfum qui se greffe à la vigilance de la mort. Il est nécessaire de retourner les yeux du dedans au dehors. Parce que l’infection est dans l’introspection. Parce que le leurre devient supérieur à la nécessité. La douleur s’y réfugie comme une maladie accompagnant nos refrains de défense immunitaires et nos rengaines de sauvegarde. Une mélopée d’arpèges glauque s’entrelace à l’effroi de nos dérives. Tout chavire en permanence. La solidité n’est plus qu’une vasque ébréchée par les sensations dominantes. L’acmé prodigue ses effets de digression et les émotions contradictoires prolongent le vide jusqu’à sa défaillance. Ses rumeurs venimeuses s’étendent jusqu’à l’affabulation et elles réécrivent le drame vécu en s’employant à nous mettre à l’épreuve.

Il est des moments d’existence où tout ce que l’on a construit nous semble dérisoire. Des moments où l’on voudrait pouvoir s’accrocher à une pensée plus solide et plus forte que la réalité déficiente. Mais, l’angoisse se décalotte dans l’obscurité vive et nous ne ressentons plus rien d’autre.  

Dans ce monde qui reste le mien, je vais par les chemins d’acacias et de tilleuls qui mènent à la colline. Je vais vers ces ombres douces, sous l’arche de mes yeux, où je sais que tu m’attends. Sur la route, j’ai croisé les chevaux dans leur enclos d’herbes vertes et la roubine qui longe les champs de blé et de tournesols. Seul, assis sur la grosse pierre qui surplombe la plaine, j’ai jeté mes yeux dans les bourrasques du Mistral. De grandes bouffées vides coiffent les arbres sous lesquels nous promenions.

Je te le confesse : le manque est plus douloureux que le bonheur perdu. Il se méprise lui-même. Je n’attends que moi-même au rendez-vous des fontaines d’espérance.

Les vies achevées rejoignent la foule de poussières qui s’amassent sous ma langue silencieuse alors que l’absence revendique toujours sa part d’innocence et sa fraîcheur perdue. Le bonheur est un vide au repos, toutes les bousculades l’insupportent. C’est une béance charnelle où soupire l’exaltation que l’on croit avoir connue. Je te voudrais encore dans la flamme imaginaire qui lèche l’horizon. Je voudrais retourner à la mer d’amandiers en fleurs et reprendre place dans le creux de nos fougues patientes et légères comme le vertige. J’aimerais réinitialiser le temps et déverrouiller l’espace où nous sommes enfermés.

Une légère buée blanche flotte dans l’air. Ma tristesse se moque bien des vapeurs disloquées et des évaporations désordonnées. La vacance commune est peuplée de confidences aériennes. Nos silences intimes sont des paillettes fluorescentes au cœur d’une nuit de braise. Les rêves corrigent la cruauté du monde que l’amour n’efface pas. Mais il n’y a que la dérision par l’absurde pour ôter la brûlure de la poudre à canon. Et malgré cette effusion rongeuse qui écaille mon cœur au moindre soupir, le lien filial conserve sa pureté et sa densité comme au premier jour. Nous sommes la cendre de nos mémoires, nous sommes en équilibre sur la balustrade de l’infinie tendresse. Nous sommes l’avenir qui se réinvente entre les cuisses de l’émerveillement.  

La résignation vient seulement lorsque les apparences occupent pleinement l'espace de nos regards. Parce que le sujet de l’étonnement parodie l’excellence de notre dialogue en lui attribuant les habits et les décors de sa mise en scène. 

L’amour cherche désespérément à se délivrer de ses illusions. Il ne sait pas que son énigme est la seule protection à sa survie. Mon cœur doit reconquérir le monde sans toi. Amour vainqueur, amour despote, ton visage plaide en faveur d’une absence précieuse. Je suis emporté par l’élan égoïste qui pénètre ton âme comme une lueur innocente. Je veux défier une à une chaque sensation pour en extraire le silence de sa part juteuse.  

Toutes les images recomposées durant l’exil se sont inscrites dans la chair de promesse. Le grain séché est tombé entre les meules du temps. On tourne le dos à l’horizon froissé et c’est la jubilation du désastre qui se reflète sur nos nuques découvertes.   

La rage d’être s’incarne volontiers en courtisane pourvoyeuse d’effusions sentimentales. Il est impératif que tout soit ramené à sa forme première, aux berceaux des refoulements, aux certitudes ankylosées et à la vie tremblante. Il nous faudra puiser à l’innocence et à la source du silence. Nous devons créer une voie de vitalité en plein cœur du désert.     

Viens. Aide-moi. Il faut égrener du plaisir ce qui en est la source, son moteur, son inspirateur. 

L’amour n’est jamais irrécupérable, il ne cède pas. Ce qui s’est envolé demeure un mirage désaltérant pour la pensée. Nos vestiges sont des gouffres amers où se mélangent le miel et le piment.

Ce que nous avons perdu, nous le retrouvons ici, entre les barques échouées et les roseaux naissants. Longtemps, nous avons tenu nos cœurs d’enfants au-dessus des marais de Camargue et nous voilà à présent corps et âmes sous la vase recouvrant nos terres cuites, mal façonnées. Aimer ne compense pas la souffrance, cela lui confère une authenticité. Tu n’es plus ici et je suis forclos. D’éphémères bouées de sauvetage glissent entre les vagues du désespoir. Tu te faufiles, légère, sur l’horizon floqué d’une réalité mourante dans l’écho d’un rêve. De toute façon, on ne croira pas au cauchemartant que nous resterons éveillés dans le sommeil. Le manque a trop d’envergure.

Cette vie de promesses arrachées aux flancs de l’amour, c’est notre chantier depuis le premier jour. Je suis à l’intérieur des pierres où s’emboîte mon pas. Je marche sur l’air et ta lumière m’essouffle. Trop de fracas dans le blanc et trop d’infinis inaudibles s’offrent à la brûlure du vent. J’ai choisi de ranger mon corps dans la lame d’un couteau. Et, je dépèce chaque espoir jusqu’à l’os. Je te donne l’idée qui poursuit mon cœur mais je crois que tu attends la nuit pour fondre dans mes rêves.

Je persiste à caresser ta joue pour parler à ton cœur, ce lieu d’émotions vives où se sacralise l’écorchure de l’émotion. L’absence est toujours un rendez-vous avec soi-même. Nous sommes libres de nos défaillances et de nos vulnérabilités, tripotant sans cesse nos rêves d’enfants et nos romances roses en guise de sucette dans la bouche.  

Sous le chapeau des heures distendues, la mémoire et l’oubli s’entrechoquent. Ecrire déforme l’inachevé et ouvre un sillon de couleur jusqu’à l’abîme. Les mots se rebellent. Ils suivent l’histoire qu’ils racontent sans pouvoir couturer la nuit blessée. 

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés © 

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