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Bruno ODILE
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8 février 2015

L’œil averti ne s’y trompe pas.

4nd0497GD_realistes_femme_nueNous ne partageons plus qu’un précipité de temps. Cependant, tu ne peux pas m’être plus éternelle qu’en demeurant ma seule destination. Avant d’entamer l’écriture de ces pages, j’ai longtemps attendu que la lucidité érode jour après jour l’angoisse de ta perte. Aujourd’hui, la passion et la démesure qui l’accompagne s’alignent naturellement sur le mur des fusillés. Mais ce n’est pas la balle qui siffle dans mes oreilles, c’est le déclic de la gâchette avant que le projectile ne soit extrait du canon. Moi, ton frère, dont le prénom descend de tes lèvres d’enfant, je porte ce manteau d’amour qui désignait ton premier fiancé à l’école primaire et dont tu as soufflé les syllabes à nos parents le jour de ma naissance au monde.

Tu as fais un balancier de tes cendres amassées sous le verre. Je guette l’heure où elles reprennent forme comme par miracle. J’ai les larmes salées des retrouvailles inattendues. Tu reviens gommer le pluriel qui m’éparpille et tu purifies mes ombres d’un simple regard. En une fraction de seconde, la muraille de pierre dressée devant moi par les années amères se dissout comme une digue de terre anéantie, comme un barrage qui vient de céder.

Dis-moi, ma sœur, n’y a-t-il pas tout à la fois dans l’éloignement et la proximité cette forme de désobéissance à aimer qui laissent nos étoiles infréquentables ? Entre nous s’interposent l’absence et le trouble qu’elle éveille. J’essaie de trouver le langage qui traduit la persistance de l’obscurité éclatée sous ma peau. La vie se détache comme une croûte qui tombe du front des cicatrices. Le sang est hypocrite, il fait mine de combattre la sécheresse. En réalité, il se réfugie sous les pierres, dans le noir rayant la clarté. L’œil averti ne s’y trompe pas. La misère appartient aux soupçons de l’aveugle et à l’âme des innocents. Le cœur à la bouche, ma révolte s’égrène dans le sac de la misère. Il n’y pas de traces où s’en vont les absents. Pourtant, tu m’as laissé un bouillon d’intentions muettes sur les sentiers perdus de la colline. Seul, le temps sous les arbres comprend l’implacable sentence. L’ombre des mots fatigués dort sous la fontaine, une lime dégrossit le chaos d’où ils viennent.

Je t’ai revue vivante le jour de mon accident. Alors que j’étais allongé sur le bord de la route, tout à côté du « stop » qui a tranché ma jambe et dans un état proche de la mort, tu es venue emmitouflée d’auréoles luminescentes et tu m’as dit : « N’aie pas peur, je suis là. »

Tu étais ce grain de lumière venu de l’éternité pour m’insuffler la force d’être encore vivant aujourd’hui. Tu le sais cette mésaventure m’a considérablement réduit. Aujourd’hui, mes jambes sont ces deux roues que j’articule pour me déplacer. Et surtout, je suis définitivement assis. J’ai donc tout loisir pour regarder le monde à une mi-hauteur et je le vois courir plus vite qu’une gazelle, dans son emballement perpétuel, dans sa précipitation inconditionnelle.

Bien sûr, je ne te rappelle point cela pour accéder à la complaisance de ton regard. Non. En te disant cela, je m’assure seulement que tu comprennes bien cette nouvelle évidence où fermente ma parole. Et puis, s’il ne me reste qu’une main encore valide, il me plait de l’activer pour t’écrire ma recherche, mon état d’âme et ma démarche. Tu l’auras compris, je m’édifie et je me construis. Je marche sur des chemins à moitié effacés, je me répare des foudres nostalgiques qui m’assaillent. Soumis à la tutelle de mon sang, je marche vers toi pour aller à la vie. L’intervalle qui nous sépare est un point fixe incrusté dans le miroir, une angoisse immobile à laquelle il est impossible de s’accoutumer. Elle est si bruyante que son odeur dépasse l’horizon où les bourrasques s’achèvent. Entends-tu donc résonner ici tout ce brouhaha ininterrompu ?

Tu n’es évidemment plus cette matière animée que je pouvais tâtonner et effleurer comme un corps de terre. Néanmoins, tu es cette chair collée, greffée à la mienne jusqu’au bout du ressenti. Tu vis en moi de ta mort. Oui, ta chute et ta cavalcade dans l’apocalypse trébuchent dans mon sang. Ton deuil noir est devenu ma lumière. Tu vis en moi de la violence parturiente de ta mort. Et cette dernière trépigne en mon domaine comme l’apaisement invraisemblable de mon existence.

Est-ce de violence charnelle ou de tendresse métaphysique que se fécondent nos jours ? Depuis ta disparition, la distance endurée réside particulièrement dans la façon que j’ai de t’appréhender. Tu files comme l’eau de la rivière à laquelle je m’abreuve. Mon coffreà émotions conserve gravement ta présence comme un prodigieux tatouage enflammé. Tu es si suggestive, si imbriquée et si féconde que tu es devenue irréductible. Et tes gestations persistantes sont des brumes douces que rien ne saurait dissoudre. Ni le temps, ni son éternité magistrale. Tu es là, toute proche, tel mon cœur, ce titan d’égocentrisme, te bouclant dans ma sphère intime et familière. Et si je te parle toujours, aujourd’hui, c’est dans l’intermittence de mes soliloques, dans le transfert de mes pensées, dans la prière d’un acquiescement au refus de t’oublier. 

Il me faut, sur-le-champ, te décrire davantage mon ressenti, ma substance et la moelle de ma demeure. Je te dois mes confidences. Or, tu sais combien je suis méfiant de cette parole utilisée pour nous comprendre, pour nous dire de nos extrêmes puretés. Mais à cette heure où je me trouve, mon souhait de faire le point sur notre enlacement permanent est très vivace et opiniâtre. Je dois te raconter pour me délivrer de cette masse sombre qui encombre nos collines. Il me faut impérativement me dédouaner de toute la détresse qui m’assaille. Alors, pardonne-moi d’avance, si je ne sais pas mieux t’exprimer une vérité aussi limpide que le miroir par lequel je me regarde. Je me redécouvre dans le reflet du jour. Je m’apprends de cette contrition cinglante et elle est irrémédiablement liée aux délestages les plus fulgurants.

De méprise en méprise, le vide tente toujours de s’arroger le sourire que tu portais comme une virgule sur ton visage. La tendresse de tes lèvres ferme les valves de l’infini. Dans le prolongement d’un sommeil colligé, la douceur persiste et mordille le bout des doigts de l’éternité. L’aube est aux sueurs du jour et la pause salvatrice se tient sur la pointe des pieds. L’heure chancelle doucement. L’instant moelleux est bénéfique aux sutures qui pommadent toutes les cicatrices. Et la nuit s’en va mourir dans la faille des scrupules impuissants. A l’interstice des rêves pas tout à fait terminés, pas tout à fait oubliés, je suis dépossédé de toute détermination. Le temps nous prend tout. La mémoire n’est pas plus réelle que ces lanternes éclairées dans la nuit où je crois te voir. Mon esprit est une barque perdue dans les salins de Camargue.  

Une fois encore, je m’achève à ton chevet.L’éloignement a perdu la mousse des mots, mais la parole gangrenée conserve encore une part de candeur lisse dans son panier. Il faudrait tout recommencer sans rien défaire. Il faudrait dépailler le silence qui est resté suspendu au menton du vertige et malaxer les mots surgissant du vide. Il faudrait les pétrir comme une pâte d’eau et de farine, leur donner une forme nouvelle, les sculpter de nos mains blanches. 

Néanmoins, je ne voudrais pas être un autre que moi-même. Et pour rien au monde, je n’échangerais ce sang qui coule dans mes veines comme une rengaine sans cesse renouvelée. 

Déjà s’ouvre devant nous un chemin qui surplombe l’écriture. Je flotte près de toi comme ces troncs d’arbres qui descendent le Rhône emportés par le courant jusqu’à la mer. J’ai le cœur pressé de se dégrafer du néant qui le ronge.

Escalader la nuit avec la corde de l’exil, aller retrouver le veilleur des rennes du ciel. Nuits de fuites sans autre imprévu qu’un corps à corps défait de la matière. La pensée amoureuse envoûte le feu qui calcine l’âme. Orphée laboure mes champs désespérés. Il y a tant de sang dans la lumière que ma déroute est rouge de ton ombre filetée. L’amour est derrière la porte, l’amour conjugue la mort avec l’œil du cyclone. Je croyais te tenir dans le testament de tes cendres, mais tu es un miroir d’émotions posé sur le jour qui se lève. La vérité me conduit sur la route du vent. Petit papillon posé sur la peau du jour, je m’efface derrière le mausolée des hautes cimes. Je m’affaisse et m’écarte du balcon où les rêves s’envolent, légers. Responsable des fuites de mon cœur, ma liberté joue avec les secousses que le silence conserve au plus profond de mes abîmes.

Chaque écriture est un piège, une courroie lisse qui patine sur l’essieu du moulin de Daudet. Je parodie le vent et m’essouffle aussitôt. Je t’approche comme ce nid abandonné où il ne reste que quelques plumes. Ma langue est sur l’échafaud de la famine. Une goutte de sel parlant une langue ancienne saigne le silence qu’elle rejoint. Un rêve d’eau, un songe humide couvrant mon front. Des images éclaboussées par l’odeur du pain, du lait et de la fraternité d’un réveil amoureux. 

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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