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Bruno ODILE
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Bruno ODILE
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20 avril 2015

Le visage des sales jours.

tableauLe bonheur, l'accomplissement, l'illumination, tous exigent des sacrifices et des actes de générosité. La joie, cela se travaille. J’astique la sobriété, j’avorte de la sur-consommation et dans la marge, je dessine le survoltage de mes sensations. Le jardin de la lumière est identique à celui du dépassement. Il nécessite la disponibilité essentielle à l’effeuillage, à l’absence éveillée, au renoncement des fleurs qui augure des fruits. 

Dormez fringantes estrades du jour, la morosité s’énumère en vain. Du crépuscule grisâtre aux chaumières de l’esprit chagrin, toutes nos existences se remplissent d’arrogance et d’immortelles revendications. Je n’ai jamais su conserver le suc frétillant de l’oiseau dans les branches, inquiet de la moindre contrariété. Je bascule volontiers aux proximités des peines chloroformées et je reste congestionné dans la nuit qui dure malgré les sourires gracieux que l’horizon me retourne. 

Des gerbes solitaires et érémitiques cafouillent dans l’illusion du manque. Je suis comme une pièce d’air parcourant les tuyaux d’une grotte à la recherche d’une soufflerie plus ancienne. Je suis celui qui s’échappe de la vague avant qu’elle ne retombe dans l’éclat de son ébullition. Je me souviens de nuits crasseuses où les étoiles postillonnaient des rimes insolentes à la face lunaire. Pour avoir cherché un peu plus loin que les météorites de mon cœur et les graviers roulés dans la bouche des mots inconscients, j’ai tenu tout près de moi le flambeau comparse des atmosphères floconneuses. Le désordre caché dans la mousse laisse croire que l’essentiel est perdu, mais il n’en est rien, car l’indispensable se suffit de peu. Printemps, mes sens sont prisonniers de tes mains. Tu plonges dans mon sang et je fleuris comme ce vieux lierre sur le mur d’en face. Ce qui a disparu est resté plié dans mon soupir comme une eau de nuit échevelée voyageant dans le jus de mon cœur. 

Les mouvements pendulaires referment les beaux jours dans un flou soutenu. Des rêves en voltige brouillonnent les ciels étoilés. Pour me retrouver, il faut laisser venir l’effacement. Souffle au cœur invisible, l’ère nouvelle retentit comme un vieux grenier secoué par les flèches de la foudre ancestrale. Les anges ont perdu leurs ailes et la pierre a été sculptée sur le fronton des désirs où figure le souvenir marquant de nos envolées précédentes. Je suis prisonnier du marbre que j’ai gravé et du tronc d’arbre que j’ai scarifié. 

Parfois, le paradis ne suffit pas et le sacré obtient les relances narquoises du ciel. Parfois, les sens affûtés rechignent à percevoir la moiteur indifférente aux jubilations de la nature qui se réveille devant moi. Parfois, je suis égaré, les mains dans le ruisseau et l’esprit flottant au-dessus des pourparlers avec les rigoles voisines. Je ne cesse de courir au devant de la vacuité de peur qu’elle ne m’engloutisse. Je fuis le silence, ce virus intarissable où s’abandonnent les pas les plus solides. Je me quitte comme une chemise de nuit avant le sommeil. Je m’exaspère d’être à l’orée de l’illusion et je sape mes rêves comme de maudits excréments sur une nappe de béton nauséabonde. Des hirondelles gonflées d’espoir passent au-dessus de l’horizon et trouent les nuages déplissés comme des draps fantômes. 

Mes cernes ont figé les cris, mon corps ne répond plus à l’ombre d’un quelconque éden. J’ai le visage des sales jours. Même la pluie qui s’égrène doucement ressemble à des barreaux de verre autour de l’enclos où sont restés mes yeux. Je suis collé au masque indécent du baiser de la mort. Exilé sous la vague hésitante, je suis sous le rabot de la voute, coincé entre les spectres d’une horreur carnassière et d’une joie qui s’efface devant l’évidence.    

J’en viens à laisser s’exprimer le destin, à céder à la fatalité. Je me désarme tout seul et me laisse conduire par les reflux de l’instinct. Désemparé, je cours plus léger que l’onde massacrante, je file comme une libellule poussée par le vent. Je me désaime depuis cette région occultée par l’ignorance et tout redevient possible. Je m’échappe de moi-même et acquiers l’expérience troublante du répit de l’existence.

Je suis fendu de toutes parts. Des trous d’air béants laissent courir le vent entre ma chair profonde et les frottements sensuels du désastre. Je n’ai pas connaissance d’un trublion plus inacceptable que le lait qui bout malgré la défaite du jour. Un feu endormi sous la table du monde lèche la croix que je porte comme un pèlerin voûté sous l’arche céleste. Sur des cicatrices dévastées, j’entends résonner la quintessence des amours éternelles.  

Qui peut savoir que la volonté est le fruit invisible d’une âme forclose de désirs inavoués ? J’aime à tort et à travers cette vie cataclysmique. Mon calendrier est une ébauche de blanc sur la luzerne de la nuit. Chaque soir, j’entends le cri du hibou planqué sous ma poitrine. Dans mon parcours de lilliputien face à l’infini, il incarne mes peurs et mes angoisses. J’habite le cœur des forêts qui borde le contenu insipide de mes croyances.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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