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Bruno ODILE
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23 avril 2015

J’aime le verbe, il me donne à voir l’invisible.

images0M5VH59ML’éternité est inutile, elle falsifie toutes les notions de temps. La durée est relative à la chose vécue. Entre les mains d’un matin galbé comme une proue coquine, mon radeau chavire, ma cocagne s’éructe et l’heure devient une orgie. Mes rêves ont l’odeur de la mer, ils éventrent les digues dans les profondeurs solides jusqu’à rompre sur une réalité plus dure qu’ils ne savent être.   

Et si la vie n’était qu’une source de tolérance et d’acclimatation ? Un trajet à sens unique, une couture virtuelle sur la page du temps, un mémorandum de signes incomplets et inassimilables. Pourquoi resterais-je sur une voie à double sens où chacun expérimente félicité et déchéance ? 

C’est le sens unique qui nous contraint à affronter nos propres idées. Je ne veux pas mourir idiot. Encore que ! Non mais, franchement, l’existence nous procure gratuitement bon nombre de moments délicieux, pourquoi devrais-je fournir un effort ? Est-il impératif de se poser des questions et d’en chercher les réponses ? L’amalgame des réconforts proposés par notre société finit par me scléroser. Et puis, la peur, l’angoisse, l’inquiétude silencieuse, une panoplie de ressentiments que l’homme voudrait enrayer en proposant des assurances, des garanties couvrant le simple dégât des eaux jusqu’au contrat d’« assurance-vie ». 

Le -Tout garantir- ramollit insidieusement mon rayonnement. J’ai besoin de réactiver mon audace, ma folie, mes pulsions vagabondes. Lâchez les taureaux que je puisse courir, sauter les barricades, tendre mon bras pour un rasé. Laissez-moi seul au cœur de la forêt pour que je retrouve mon chemin. Arrêtez de me fournir des panneaux indicatifs pour m’aider à repérer aisément la bonne route. A vouloir trop faciliter toute escapade, vous anéantissez le désir qui me portait au devant de la réalité pour la rencontrer, la dévisager et l’affronter. Vous appauvrissez ainsi mes réactions naturelles, mes défenses spontanées, mon potentiel d’adaptation. Je n’ai pas peur de mourir. Je n’ai pas peur de vivre. 

J’aime lorsque Jean Baudrillard nous dit : « Mourir n’est rien, il faut savoir disparaître. Mourir relève du hasard biologique, et ce n’est pas une affaire. Disparaître relève d’une plus haute nécessité. Il ne faut pas laisser à la biologie la maîtrise de sa disparition. »

Ou encore, lorsque Albert Camus nous indique : « Je ne puis concevoir qu’une métaphysique sceptique s’allie à une morale du renoncement. Vivre, c’est faire vivre l’absurde. Il importe de ne pas se jeter à corps perdu dans la mort, mais de mourir irréconcilié, à jamais révolté. L’homme tragique n’abdique pas… ». 

Dans le fourbi de ce sang peureux, trop de protections m’empoisonnent. Mon existence ne se pose pas de question, elle vit de ce qu’elle est, comme elle est. Elle apprécie et elle souffre, mais jamais ne se limite stricto sensu aux nécessités biologiques. Le verbe oublier à tous les temps et tous les modes demeure le seul rescapé d’une vie de naufrages incessants.

Tout cachoute dans ma bouche, tout est casquette dans ma tête. Bonheur simple et revigorant, petits signes de la vie repue avant la sieste, il me plairait de prendre le temps, de m’asseoir à vos côtés, de laisser venir la caresse de la bise. J’habite au bord de la mer et le bruit des vagues est si proche qu’il me laisse croire que j’ai les pieds dans l’eau. Dans l’enfeu cinglant de la vitalité, ma chair s’endort au-devant de l’écluse. Mes rêves crachotent sur la dentelle d’écume où la vaillance se raye.  

J’ai l’intention de toucher à la larme des fleurs, à l’épaisseur du moindre souffle empoté comme une confiture de muguet. Certains creusent, d’autres amassent la terre du trou. La terre, notre terre est à chacun. Je glisse sur le dos du monde et mon corps avance tout seul. L’enfance que je n’ai pas eue se cache dans le foulard de son anniversaire. Je tiens la vie comme une culbute, comme une dégringolade du vertige que le chaos embrassait. Je porte en moi l’immense récipient de la foudre et des feuilles mouillées. Dans le parfum du sommeil, des arbres secoués par le vent inventent une seconde pluie plus fine. Je suis un migrateur inflexible, l’âge s’agite dans l’instable équilibre d’un chapeau de paille retourné. Je jubile et toute adversité s’envole. J’aime le verbe, il me donne à voir l’invisible. Je suis l’ami de ma chair pensante. 

Néanmoins…  

Un cri oublié se perpétue dans la trame commune. Des hommes et des oiseaux brisent les chaînes du ciel, le transpercent dans la pesanteur de l’instant qui n’a pas encore bu aux étoiles. L’heure est un aigle immense flottant sur les reflets de nos ajournements. J’ai reporté à demain la tristesse d’être venu au monde et la joie de dire : ici, c’est maintenant. Je cours les mains vides, je cloque comme un pâté de souffrance dans un silence inaccompli. Je ne verrai jamais la flambée de nuages s’éteindre dans la mousse de l’extrême incandescence. Ancré dans les eaux de la nuit, le bonheur est un souffle dont je ne peux m’emparer. Tout comme le vent s’habitue aux dédales de l’air, je me suis accoutumé aux tempêtes qui broussent mon sang. Je renonce à l’humidité qui rouille la clairvoyance de mon esprit. Les doigts moites de condescendance, j’écris mon corps avec le fer du grillage qui m’entoure.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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