Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Bruno ODILE
Archives
Publicité
Bruno ODILE
Visiteurs
Depuis la création 46 198
Derniers commentaires
16 mai 2015

Là où le regard s’organise.

sans_titre65Vivre seulement dans l’expectative d’une immortalité nous consigne à demeurer d'aplomb en permanence. Le simulacre d’un futur égal à l’éternité est un suicide volontaire du moment présent. Ma plume appréhende l’horizon de l’existence que je voudrais étanche à la douleur que chacun garde en soi. Ce lieu de cicatrices, cette abondance de morcellements, ces morsures essoufflées, je les convoque dans ma salive avant de les cracher dans les replis de la soif qui n’a plus lieu d’être. 

Dans la radiance du jour demeurent les partitions d’étreintes et de promesses qui me prolongent. Toute la saveur singulière inonde ma pulpe béante et ouvre mes veines à cet hymne de feu où vient boire un océan plus vaste que le fleuve de mon désarroi. Je ne veux rien conserver du secret des jours, pas même les marches guidées par la jouissance d’être. Je veux habiter le lâcher-prise comme un hamac installé dans la clairière de l’immédiat. Je vis dans un bonnet de nuit où se réveillent les mots au bout du silence. Les mots sont conçus pour témoigner de nos irrésistibles illusions ! 

Mi-ombre, mi-lumière, la lucidité comme toute expérience de vérité peut être d’une insolente objectivité. Restrictive à souhait, sans autre contour où nous affranchir de nos pulsions primitives, elle ploie aux frontières de la passion. Sous les bois et dans la pénombre, elle est une trouée de raison lumineuse et elle ondule dans les champs de blé comme une grande clameur rassemblant mille frissons. Mes mains s’ouvrent comme la crainte assèche la buée coulant de l’inconnu. Nous avons tant appris à nous cramponner aux blessures pèlerines que l’absence de providence est une boule d’argile dans un atelier de poterie. 

Parfois, je baigne gentiment dans la glaise molle et c’est les doigts gonflés par les blessures restées lézardes saillantes que je m’entretiens avec l’évanouissement. Moirure de la nuit persistante, texture solitaire du geste, j’accomplis d’une main vindicative le dessein d’une démarche apaisante. Je cherche et je guette l’instant de transition qui fait glisser la chair hors de l’entaille incisive de la première fois. Je voudrais clore le néant, anéantir le vide qui réfléchit mon impuissance. Assiégé par la mouvance des choses à vivre, mon enfance est vaincue comme une horloge grippée. Tous progrès me semblent immobiles et je dérape sur l’instant de vérité qui se répète. 

La fougue de la cascade, la brume d’eau enveloppant la roche, le jet de vapeur fraîche : tout se réveille dans le bouillonnement puis va rejoindre la rivière. J’ai plus appris par les défaites de la parole que par la conjugaison des verbes. Mon repos, je le dois à la somnolence des mots inabordables. Je convoque l’oracle de la raison et, de mes lèvres bossues, jaillit de la neige jouvencelle. J’ai croisé des Rois mages à la cime du temps, leurs offrandes ressemblaient aux fruits secs des saisons anciennes. Bien souvent, la figue est une promesse que le figuier produit sans le savoir. 

Il n’y a rien à sauver et tout à perdre. Il faut s’aider soi-même à oublier et à s’oublier. Avec le recul, je débâtis l’angoisse restée dans la rotation intérieure. Libéré de l'emprise du temps, un moment de grâce déleste la transparence de soi et un murmure de matière. La joie est un renversement de perspectives. Elle résulte d’un lieu commun et s’achève là où la vérité se dérobe. La remise en cause des certitudes nous plonge dans les affres de la critique dithyrambique du juste et nous attache à la soumission de nos larves profondes.

« Ne cherche pas à ce que les événements arrivent comme tu veux, mais veuille que les événements arrivent comme ils arrivent, et tu seras heureux. » - Epictète, Manuel, VIII

C’est dans le déracinement de toute attente que la transformation de l’heure devient possible. C’est la beauté et la joie qui donnent sens à la vie et parlent avant même les mots. A brouiller les pistes, le monde extérieur devient menaçant. L’enchevêtrement des corps nocturnes se déploie dans la turbulence amassée aux jours sans éclats. Je désire l’alliance avec la nature, je prends appui sur la lumière qui sombre et j’accède à cette lueur poudreuse qu’aucune ombre ne satisfait. La vie se déploie et son rayonnement s’approprie la présence immédiate où convergent toutes les sensations.

Finalement, on ne redoute le futur que lorsqu’on est incertain de retenir son pas. Le temps est une cerise qui flirte avec le soleil, c’est évident. C’est par la colère de la frustration que l’on réapprend, au mieux, le courage d’affronter. Pour être dans la découverte, je dois refuser l’imaginaire organisé et m’imprégner à l’espace d’émotions qui m’enveloppe. La vibration du ressenti et l’effleurement d’un soupir portent l’onde au-delà du raisonnement, là où plus rien ne peut faire barrage à un sourire. 

L’amour n’est jamais l’aveugle consentant que l’on suppose. Il est le magicien qui transforme la logique en colombe blanche et qui balaie la raison supérieure d’un seul geste. Il est le hasard irréfutable d’une rencontre avec le merveilleux inconnu de l’évidence. Il est l’écho de soi frappant à la porte déjà entrouverte de nos désirs. La vie s’arrange du monde qu’elle n’a pas créé. Le sort de l’être veut être redressé. Il est complice de la restriction mentale qui lui tient lieu de sauvegarde.

Dans l’inachevé, la constance du tout-à-vivre coexiste avec le temps approximatif. Tant de choses abandonnées en route, tant de défaites avant le terme, des créatures sans tête se promènent sur mes lignes de nuit. D’anciennes images captives et menottées se mutinent et emportent avec elles tous les rêves morts. L’inachevé renouvelle sans cesse les projets, et c’est bien là sa force. Capable d’épuiser toute ressource comme d’engendrer toute mémoire, il spolie l’aire sur laquelle l’objectivité s’éreinte à creuser la fosse des tourments qui n’en finissent pas. Point de défi à cette école buissonnière, l’inconstance nous plonge dans les méandres qui cravatent nos gorges d’espoir.

A quoi bon se défaire des lois harcelantes de la rigueur, si aucun délestage de rage n’advient à se retirer des profondeurs insoumises ? A être sage plus que vivant, on ruine l’expansion débordante de nos défauts. Ces imperfections ne peuvent qu’altérer les foudres de l’adjectif qui se tord au fond de nous. Là où le regard s’organise, un pont se créé d’une image à l’autre dans l’irrespect d’une vision objective. Suffira-il d’une vibration extérieure pour raviver le lieu où la fraternité prend son souffle ?  

Dans l’amorce du regard et dans ma poitrine peuplée d’airs millénaires, les yeux s’épouvantent, le souffle cherche où s’accrocher. La respiration hésitante, je ramasse des grumeaux de songes restés pétris entre la terre et le ciel. Mon âme se prolonge à travers le cri nu, là où se dévoilent les pas qui résistent dans l’encombrement des doutes. Ma vie s’effrite derrière les ornières du temps et je n’ai toujours pas trouvé où réside le sommeil qui me précède. Il y a bien un visage souriant hissé dans la brume mais je ne sais dire à qui il appartient. Mon besoin de consolation demeure impossible à rassasier. Ma liberté est une éventualité à plusieurs visages. Je subis le four de mes désirs et je passe ma vie à me pardonner. Les formes s'animent et les figures s'incarnent. La vie est, la vie ruine l’existence qui la précède.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité