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Bruno ODILE
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30 décembre 2015

Encore le poids du jour à venir sur l’ombre d’hier.

Nus_1990_2000_Nahi___E_Gauthier_blogTu reviens à moi par le chemin du pays où l’on n’arrive jamais. Tu es la page blanche du livre où le regard fait reculer la nuit.Tu marches à l’intérieur d’un cercle innommable bordant les frontières inconnues, et tu nages comme une truite dans l’eau fraîche des sources. Discrète et furtive, tu dévales de cette heure féconde, enfantée par la neige, le ciel et la magie du temps qui se décontracte entre les phalanges de l’air. Tu déboules du miracle de l’amour et de ses solstices imbibés d’éternité. Encore des mots puisés à l’humanité saillante qui réclament de guérir, encore le poids du jour à venir sur l’ombre d’hier. Tu me reviens toujours comme un poème inachevé, comme une lettre écrite de la main du chaos.

Toutes ces nuits enfermées dans le ciel sont fragmentées de déroutes et d’intrigues désabusées. Lamelles d’eau sur le cerceau du jour, bouffées truculentes gaspillées sous mes paupières. Des nuées d’encre bleue perdues dorment à l’ombre du regard. Le rose plaisir de nos langues s’est couché dans sa barque souterraine. Dans nos mains alanguies, résonne le bruit des ténèbres. Nos vies entrelacées, nous les avons aimées sans les comprendre et nous les acceptons sans plus pouvoir les aimer réellement. Nous les avons saisies dans la fraîcheur de la sève. Et dans la pâleur inconséquente des mots répétés, je tiens encore le flambeau éclairant la douceur de l’amandier.

L’avenir fouette l’heure. Le vent souffle comme en plein jour. Inséparable de la chair, mon âme d’Arlequin grince comme une porte mal huilée.

Tout est devant. Devant quoi ou devant qui ? Je n’en sais rien. Un champ de lavande ignorée charrie avec lui l’éclat perdu, arraché à la terre. J’ai trop longtemps négligé l’insignifiance des feux imaginaires. Je suis ta trace comme un cerf-volant s’embrouille dans ses propres fils. Seuls, les vents contraires étaient visibles. J’étais terriblement abattu par ton départ. On est toujours trop coupable à demeurer vivant quand l’autre nous quitte. Tes cendres m’ont servi de sablier sur les rives du temps. Je ne savais pas rester impunément vivant dans l’après toi. Le talon du vent en pleine figure, je couinais comme une poulie rouillée.

Nous nous sommes dévêtus des bourrasques anciennes qui coiffaient le petit chemin Saint-Georges que nous empruntions pour nous rendre à l’école. Nos pas d’écoliers ressemblaient à une farandole et nos craintes de la maîtresse se déboutonnaient sur ce parcours. Petit chemin bordé d’arbres et d’herbes sauvages, nous portions nos cartables sur le dos et nos mains étaient liées à nos sourires d’enfants complices. Toi, soleil ébouriffé de lumière, tu réchauffais le goudron encore humide de la nuit nonchalante qui l’avait bercée. Déjà à cet âge enfantin, tu m’accompagnais vers la découverte.

Toujours cet écho et sa source invisible. Chair de poule intarissable. Mon enfance engoncée dans la manche du gilet, je te tends la main comme une double chaîne de neige et de noirceur. Tu flottes encore dans le bain de lavande où tes yeux fument comme un mégot mal éteint.

J’ai toujours trop vécu dans le corset de tes yeux. Lorsque l’ombre s’avançait, j’étais une fleur dans ton regard.  

Les jours de mauvaises besognes, des chiffons froissés traînent au fond de ma gorge. Tout ce qui est parti revient encombrer les rives du fleuve que nous avons parcouru. C’est dans ces instants là que je suis le plus démuni. Tout me semble si lointain qu’un simple souffle de proximité me désarçonne. Ta voix remue dans mon ventre et je suis perdu dans une nappe d’émotion comme un navire dans la brume.    

Le vide demeure notre racine la plus insensée. La meule lisse le temps, le relooke et lui offre de nouvelles étendues. Près de toi, une faux mal aiguisée scintille. Nos flammes connaissent la paille craquante sous la dent. Demain, je retournerai boire à la rosée que l’aube laisse sur ce paysage déshabillé. Je tendrai les bras vers le ciel. Je serai une antenne pour nos discrètes solitudes et nos ondes tendres prendront feu dans l’air.

Ma parole porte dans son sang un collier de morsures comme mille dents pointues. Chaque phrase que j’écris est un tour de cou, un tour de nous, une poche trouée où s’écoule la larme triste de l’attente déçue. Aujourd’hui, mon amour est un harnais de fer autour d’une éponge de beurre. Mon cœur a le ventre ouvert, il ressemble à un tonneau crevassé longeant les vieux ports où les navires ne vont plus. L’absence se dilue dans un chagrin visqueux, dans un crachin de poisse qui lui sert de foulard. Une terreur et une pitié rongent les pierres que tu as laissées derrière toi pour ne pas te perdre. Une musique claire, sous le porche de lierre, pacifie tant bien que mal les cris expulsés de notre abécédaire sensitif.

Nos vies intérieures brisent la mort, brisent la vie, jumelles de sang terrées dans nos abîmes. Quelque part dans le branchage soyeux des micocouliers, nos cœurs sont des nids que rien ne protège. Notre amour est un radeau lancé à la recherche de nous-mêmes. Téméraire et fier, il ne sait rien des éraflures du songe qui l’emporte.  

Noé a transporté pour nous le déluge d’un temps écoulé en une nouvelle demeure. Des torrents d’éternité s’entrechoquent au néant et sur nos bouches crissent des paroles inédites. Nous avons percé l’eau de la révolte et du chagrin. Et ma chair s’écaille aux parois de l’air qui me griffe depuis les ténèbres. Le temps élague tout et la durée s’effondre sur la vérité de l’instant.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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