Liberté et manquements
Tout est à saisir dans cet espace de chair et de pensées. L’abandon, le recul, une bosse de terre, toutes les perspectives relatent l’événement qui propulsera le sang jusqu’aux contreforts de notre espace de vérité existentielles.
Concentré en un point,
il me faut occuper les diagonales,
et rouvrir mon triangle de vie.
Je dois, ce matin, déplier mon âme
comme un lange neuf
et du bout des doigts
restaurer ma peau et ma langue.
Plus tard, je revisiterai les camisoles anciennes où se dissimule une géométrie sans espace. Et dans ses brouillons débridés, je ne verrai plus qu’une vieille transpiration boudinée, une bohème disloquée et discordante.
Alors, dans les travers d’un rayon de terre à naître, j’écouterai s’éteindre doucement quelques notes égarées dans la déglutition des cendres effritées sur le mur du son. D’Est en Ouest, et du bas vers le haut, des lanières de sueurs se désagrègeront contre les rabats du temps.
Aux charnières du libre-arbitre, la voix lâchera dans son dictaphone et sa cheminée du bout du monde, tout son désir d’allier et de réchauffer la vague humaine encore barricadée sous les dunes de l’inavoué.
Je suis là. Je me soutiens,
je ne suis plus une ficelle déliée
à la surface des eaux.
Les difficultés d’appréciation demeurent,
mais plus rien n’entrave la neige
sur la langue apeurée,
sur la voix décousue de son haillon d’épines.
Je fusionne avec l’enfance de mes rêves
et je parviens plus aisément à être tout et rien à la fois.
En quelques mouvements de corps et de tête, je ne retrouve plus les lieux que je viens de quitter.
Mon existence est une cabine vide dans laquelle je me déshabille. Un clou maintient l’âme et l’esprit sans en fendre la fibre incarnée, alors j’envisage, en son centre, d’autres opportunités de vie. Je me transforme en toupie virevoltant d’une terre à une autre. Peu à peu, je deviens libre de mes silences et de mes déserts.
Trop souvent à l’étroit dans ma vieille carcasse,
je vais à la rencontre des autres
pour dégager un peu d’espace vivifiant,
un peu de souffle recommencé.
Ma liberté, je la cueille
dans un cratère parsemé de cailloux.
Et je ressuscite en dehors de ma mémoire.
Un peu de soleil entre les mains,
un peu de vent sur mon chemin,
je pars visiter cet ailleurs qui m’attire
et ces landes sauvages
jusqu’à lors inaccessibles.
Sans regret, je quitte mes souliers de bois
pour marcher pieds nus sur le maquis ouvert.
Ma liberté, je la cueille
dans un cratère parsemé de cailloux.
Je fais des taches sur l’ardoise du ciel
pour ressusciter en dehors de ma mémoire.
Entre ciel et terre, je mange à la matière des autres, je dessine des paroles qui sortent du four avec le pain et les fougasses. Loin des cierges de l’éternité, je casse les mots comme des noix séchées, j’invente des sons et des tonalités que le vocabulaire ne connait pas.
Rendre soutenable l’insoutenable,
un peu de moi s’évade du blockhaus
du vivre sans vivre,
de l’hypocrisie du réconfort charnel,
de l’albumine congénitale
inséminée dans l’air du temps.
Je m’approprie l’espace derrière le rideau, et
je fais mouche là où l’insecte se torpille de sucre.
J’ai frotté, frotté, mes peurs, mes désirs, mes rêves, amincis jusqu’à ne plus paraître, jusqu’à disparaître aux firmaments des injonctions péjoratives.
Je revis dans le drapeau vert flottant sur la plage de mon enfance. Des haillons d’illusions s’en vont pêcher au ventre du marais l’anguille fuyante et battre l’eau jusqu’à l’embrase des confidences et le feu des ragots.
Liberté et manquements, dans la saumure des voix, l’ombre qui me poursuit n’est qu’un nuage de poussière, un escadron d’étincelles claquant des dents au cœur du noir.
Fleuve en décru, j’attends tes vagues grattées sur les remous de l’air ! Eclabousse-moi, asperge-moi ! Même trempé comme un torchon dans la lessive du temps, j’irai devant et je te traverserai.
- Bruno Odile - Tous droits réservés ©