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Bruno ODILE
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12 février 2017

La vie que tu as fait naître dans la nuit...

13557929_270232023337120_6100356065135473010_nLe temps se foudroie lui-même dans un cœur recouvert par le sanglot des anges. Dans le sang de ses heures, l’obsolescence berce le chagrin et nos grimpons sur des tours imaginaires. Tout ce que nous avons pensé est une fumée où les images défilent à vive allure. L’heure est une auge vide, une tasse de porcelaine qui se brise dés qu’on l’effleure. Le temps consacre à mon amour chaque seconde où la volonté se concentre sur sa chute. 

 

Il faudrait quitter ce monde, dans un orgasme. Comme l'air qui se perd dans le vent. Je suis sûr que la vie est dans le souffle. Dans la jouissance qu’il y a à sentir le monde. Je fais la course avec l’écume de ton corps et lorsque je viens le premier, il m’arrive d’entendre tes cendres chanter. Rêver l’instant précédent et y cueillir le suivant. Je ne connais rien d’autre que cette minuscule poussière d’amour qui me traverse.

 

Un front bleu délimite mon regard. Dans ma chair, je sens le frêle silence que tu occupes. Je vis ta disparition comme le soc de la charrue éventre la terre et la prépare au mariage avec le soleil. Je me sépare des cadences infernales de l’oubli. Je dors à l’intérieur de ton sourire. Il résonne comme un ruisseau où se réveille la clarté. 

 

Je n’écris plus pour délivrer la mémoire. Ma parole trace des signes sur l’air pour mieux pénétrer l’angle dans lequel tu t’es blottie. Écrire, c’est se désapproprier du feu qui est en soi. C’est s’abandonner à l’air, c’est outrepasser le cœur d’une tempête, c’est se résumer dans le souffle fluide de l’émancipation. Les mots nous jettent hors de nous-mêmes avec la furieuse envie de nous alléger. 

 

Le silence abdique sous l’autorité des émotions fougueuses. Je n’écris plus pour te dire mais pour exulter de moi la graille tournoyante de la puissance qui me ronge. J’écris de la même manière qu’une note de musique grimpe le manche d’une guitare avec la main d’une hache. 

 

Dans mon panier d’écriture l’encre ingrate s’évapore peu à peu. Les fuseaux horaires de la parole décalent le présent. Je suis intimidé par la pulsion narrative. Et puis, l’instant nacré d’amour remonte pour survoler le langage qui lève l’ancre. Ton visage moulu dans la cendre blessée durcit l’estocade aux pieds des mots défiant l’écriture. 

 

Écrire, c’est s’effondrer. Mon récit est dans la poussière au fond du sac comme une fièvre hors du corps. Tu le ramasseras, peut-être. Son jus coulera dans ta bouche. Alors, le silence reviendra comme un rasoir sanglant sur la page vierge. 

 

Toi et moi, nous le savons, il n’y a rien à attendre de notre naissance au monde. Nous prenons ce qui nous est donné. Nous secouons l’air qui nous accueille. Nos vies sont l’écriture du temps sans que l’on sache vraiment si notre réalité en prend note. Nous sommes prisonniers de notre persévérance, sympathique et mortelle. L’habitude prend du retard sur l’acte et nous sommes bernés par le sursis que nous accordons au silence des ombres. La constance de nos résolutions cherche un aboutissement dans les mots qui se noient dans le regard du néant. 

 

Aujourd’hui, il ne me reste que l’écriture pour te raconter le décroché de mon cœur. A croire que se souvenir est une perte, un labyrinthe sans issue. La mémoire troublée est un déficit de ressources à vivre, une lacune intarissable. Tu vois, nous sommes entiers de nos déboires comme nous sommes brisés par nos affections. Ce qui demeure, c’est la poussière que nous pouvons laver ensemble de la tourbe commune d’où nous venons. Rien d’autre, rien de plus. Ecrire, c’est défier le monde réel à partir de son nombril. 

 

Et puis, tu sais :

 

Il y a ces moments maudits de l’écriture où toutes les pensées défilent si vite dans mon esprit qu’elles m’inondent et m’engloutissent au plus profond du noir. Il y a des moments maudits où tout se déverse en soi comme une cascade ininterrompue de phrases et de souvenirs mélangés. Ma plume ne sait pas imprimer sur la feuille ces instants gorgés de rouille où l’on laisse un peu de soi-même sur les antennes de l’éternité. Je me sens alors bafoué et trompé par moi-même. Incapable d’extirper de mes méninges la moindre syllabe claire. Je me sens dépossédé, exclus comme le sont les rires lorsque la peur panique prend le dessus sur une situation pourtant burlesque. 

 

Ecrire, c’est s’immiscer dans l’aventure de la ligne horizontale. Deux traits superposés, une ligne. Une page blanche dormant sur la table attend que des mots communs la redresse de son impassible latence. L’idée que je me fais de toi est une corde cassée, une tache d’eau salée sur la page couchée sous ma poitrine. Puis, je m’engouffre dans le récit comme un animal blessé retourne dans son terrier. J’habite la zone blanche. Je loge comme un courant d’air chaque signe que je dépose. Au final, la page écrite s’apparente à la surface immergée de nos fantômes. Les mots deviennent les radeaux qui nous transportent. Ils sont les fils imaginaires par lesquels transite ce que j’extrais de mes profondeurs.   

 

La « Jeanne » de Brassens s’emporte avec les vagues de la corniche de Sète. Rien ne s’anéantit sous cette lune fluorescente, rien ne va à la mer sans rappeler le bruit de la courbe lumineuse de tes lèvres. Nos âmes sont des corps déchus. Mes sentiments errent dans l’opprobre des lumières glauques. Il faudrait ramasser toute la nudité des ombres avant qu’un éclat d’amour pur ne l’emporte. Comme une bulle d’air, la vie s’est annoncée, précédant la respiration de la terre. Elle avertit toujours d’un cri et d’un élan. Imperturbable guerrière, elle s’en va devant pour saillir les heures nouvelles. Triste plaisir de n’être qu’un cœur dessiné sur le calendrier poussiéreux s’enfonçant dans la chair de l’autre. 

 

Je ne durerai pas. Ce qui m’est cher s’envolera comme des feuilles sèches. L’ombre tarira la blancheur de mes élans. La vie s’étouffera dans la tempête monocorde et invariable de son inutile beauté. Je serai là, vaillant de mes écorces lissées et je sombrerai comme une barque abandonnée sur les tempes de l’infini. Je plongerai dans les entrailles de l’eau, et je finirai ma course auprès des algues fines et des coquillages. Aux abords d’un halo de nacre, tes yeux seront alors un espoir intarissable. Tes mains et tes hanches deviendront les ailerons de mes divagations. Je goûterai à la nuit profonde, j’y étendrai mon hamac de pacotilles. Je dormirai comme des bulles d’air remontent lentement à la surface. Et, j’irai rejoindre ton plus noir silence enrobant la bohème des jours écoulés. 

 

L’intemporel connaît la même fée, la même symphonie lugubre. Je vaincrai la vie et la mort. Il le faut. Je serai l’air qui effleure l’aube. Je serai le ciel et la cordelière des cœurs qui se détache à la marée. Je naîtrai dix fois, vingt fois, mille fois, sur cette glace froide que le soleil réchauffe. Je n’aurai plus rien à te dire, nous serons la communion informelle et l’union des heures qui rebondissent dans l’espace. Et, nous serons bien. Dans l’oubli salvateur, l’eau aura la couleur de nos rêves mais nous ne dirons rien. Une voix lointaine soufflera sur la lune. Puis, les yeux ouverts jusqu’au matin de l’infini, j’attendrai le toucher de nos cœurs. 

 

Mon corps s’ouvre et se ferme à la lumière comme une forêt s’effeuille sans que rien ne bouge. Je suis un passage, tu es un chemin. Fugitif aux mains pleines de cendre, je traverse l’espace comme un astéroïde transporte la première heure à travers l’immensité de l’air. La vie s’abrite dans le mythe de mes os et lorsque ta poussière sera assemblée à la mienne, elle revendiquera les ruines de nos volcans au monde qui nous échappe. 

 

Faut-il donc croire que tu aies pensé la mort plus douce que la vie ? Dans l’excès du renoncement, tes mains se sont fermées et ton souffle a cessé. Que sont devenus tes yeux, ta peau et ton chagrin ? Ta lucidité du vide étourdissant ? Il s’agit, ici, de respecter ton choix. Mais, il s’agit aussi de le comprendre pour essayer de l’accepter, de l’avaler comme une goulée d’eau fraîche. Toutes les capitulations sont pernicieuses, elles fondent comme neige au soleil en même temps qu’elles cimentent la coexistence du péril à celle de la réconciliation définitive. Fataliste d’une réalité qui me possède, je ne saurais comme toi donner le glaive à mon désarroi.  

 

Est-il possible qu’un arbre, sans cesse balayé par la violence des vents, finisse par céder à la tentation de refuser définitivement la sève qui le nourrit ? 

 

Tu as inscrit tes feuilles et tes branches à l’incalculable chemin du temps. Tout chuchote à l’imperceptible bruissement de ta voix. Un frémissement s’écaille et des grumeaux de toi foulent encore les terres inachevées, les mémoires incomplètes. 

 

Encore plus fort qu’hier, j’entends parler ton sommeil de grenaille comme si une sollicitation d’amour s’infiltrait et se murmurait de la bouche de la mort. Cette pucelle inviolable que nous avons jetée après ta ptose sardonique dans le seul jardin qu’il nous restait. Nous, ta famille, qui te chérissons, nous l’avons ensevelie au fond du jardin de nos brisures, au pied d’un chêne centenaire. Depuis, à chaque automne, il te recouvre de ses glands et son tapis de coques dures te préserve de l’usure. Vois l’ironie du sort ! 

 

Quoiqu’il en soit depuis, je te course et je t’arpente à la dérive de tous mes naufrages. Je te recompose des brouillons tapissant ma mémoire et je me recueille dans le silence de tes ruines. Je sens ma gorge se nouer à la tienne. Quelques scories tombent encore et elles vont fondre les pierres dures de leurs larmes acides. C’est une petite pluie à la saveur assidûment aigre et piquante. 

 

Le vent n’emporte pas la tête qui roule dans la brèche. Des pensées fondent dans la cire astiquée puis réchauffée. L’inflammation des caresses renouvelle l’ardeur. Mais la poésie se fout bien des jours sans crépuscule. Toutes les nuits amères rebondissent des cendres de la lumière. Les étoiles ont chuté. Lourdement. Un bracelet lumineux entoure mes chaussures. Je marche à ta rencontre. Mon appétit sous les paupières du souvenir. 

 

Une louve affamée se cache dans la forêt. D’ici, j’entends son ventre vide et la résonance de son estomac désespérément opaque. Pourtant, elle crie son désespoir aux feuillages des arbres. Ce matin, elle a perdu la vie qu’elle avait fait naître dans la nuit. Un petit corps étendu à ses côtés. Elle pleure sa défaite. 

 

Tout se passe en dehors du silence. Saison parmi les saisons, le marronnage automnal s’échoue sur le paysage. La chaleur de l’été s’essuie sur les vitres encore tièdes et la buée matinale regorge de clarté perlée. Mais, il pleut des tonnelles de tissus troués au-dessus de l’arc-en-ciel. Sous le parapluie, ce qui n’a pas été donné, suinte des baleines mal refermées. La brume sera le seul capuchon et toutes les étincelles cligneront des yeux. Les blanches pupilles resteront moulées sous la paupière du temps. Tu hisseras ta langue sur le portique des balançoires mais le mot échoué ne saura plus dire la rosée qui l’a emporté. Je ne ferai que poser dans tes mains le mimosa qui pousse dans les miennes.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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Commentaires
S
Dans ces saisons de silence, ton cri d'amour habite le nid du chagrin et le décore de ses louanges..toujours si poétique
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