Combien me reste-t-il de temps ?
Ce qui force la vie, c’est la saveur souterraine, le goût de la lumière sous la tremblaie délaissée. Mais, derrière la fleur des champs, les villes meurent d’un trop plein nauséabond. Ruelles aux égouts besogneux, goudrons patinés de caoutchouc, taillis d’excréments en tout genre, mortelle nonchalance des balcons sans glycine, voilà tout le drame de l’eau claire venue nettoyer l’asphalte qui repart dans les fosses de la terre chargée des poisons occasionnés pour notre confort. L’illusion porte la civilisation aux pinacles de ses désirs. Et tout le monde est piégé par la spirale de l’aisance abusive.
Personne ne peut fuir, l’ancien monde n’est plus accessible, l’héritage purge l’instant. Je n’ai d’hier qu’un panier d’orties immangeables. Tous les gestes perdus évasent l’horizon, je ne tiens plus le sourire du ciel entre mes doigts. Des vagues tombent sur le registre des heures promises. Comment savoir la douceur dans le vertige ? Comment savoir ce qu’emportent les trombes d’eau de l’anonyme présence jouxtant mes entrailles ?
Par dépit, je me suis amusé à compter le temps d’une vie moyenne de 80 ans, soit 29200 jours à peu près. Si je décompte approximativement, 8 heures de sommeil journalier, 7 heures d’activité professionnelle, 1 heure pour la toilette complète et l’habillement, 1 heure de trajet journalier en voiture, 2 heures pour la préparation de repas, leur consommation et la vaisselle qui suit, 2 heures pour l’ensemble des activités ménagères, sortir les poubelles, laver les sols. Et si j’ajoute le temps consacré pour s’occuper des enfants, les démarches diverses, le bricolage et une multitude d’autres occupations journalières. Combien me reste-t-il de temps pour la contemplation, l’amour, l’activité sexuelle, la disponibilité à sa propre existence ?
- Bruno Odile - Tous droits réservés ©