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Bruno ODILE
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Bruno ODILE
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10 février 2015

Une nuit, je t’ai entendu frémir

918e6f20599008615300e40f70ceeb838c08e9f1_1362751845_crop_2x3Une nuit, je t’ai entendu frémir dans les branchages de tes rêves d’enfant. Sans doute, une fée ou un ange te régalait des mirages d’une belle histoire. Une pomme d’amour versait son sucre rouge sous les halos tendres des contes se faufilant dans ton esprit. Petit corps allongé dans la nuit, soudain ta voix cristalline lâcha dans l’obscure chambre, ce mot dévastateur : « papa ! ». Je ne me souviens plus du matin suivant, mais je me rappelle ce mot, cette image ensorceleuse d’âme pour l’éternité. « Papa », est-ce donc ce jeu de voyelles-consonnes où se cache le lien amoureux de deux êtres envoûtés par les mêmes stridences poétiques ?

Plus loin que nous, dans la pâte de la terre, une femme sème des fleurs multicolores sur tout l’horizon. Elle a des mains fougassières et le visage d’une opaline. Dans le bec des étourneaux, des brins de lavande parfument le ciel de pigments de violine. Ventre rond et jambages de coquelicot, elle porte le monde dans sa chair pulpeuse. Ailes de bécasse ouvertes, l’oiseau s’envole du nid et la femme accouche d’un long fil de soie. La nature se drape de son manteau de farine et le pain du jour gonfle comme une miche où dorment les cigales de l’amour.   

Aux premières lueurs du souffle, j’ai su la perte du sang où se nourrit la reproduction. Dans le cache-cache de l’enfance, je compte : un, deux, trois, soleil ; et le chavirement de l’air épaissit le trait sur la vitre. Mon fils, ma patère, mon clou pointé sur le nuage de la terre promise, un espace silencieux, infiniment tranquille, nous attend. Là encore, avec des gestes très simples, nous nous succèderons et nous partagerons l’égal vertige des sens et la légèreté d’être d’une infinie disponibilité du cœur. Ce territoire, le nôtre, fait corps avec toute la Terre, tout l’univers. C’est le lieu invisible à partir duquel nous nous fragmentons pour défiler à la cime de la conscience. Nous sommes le fil de la spirale, l’axe immobile et le centre de gravité où tout s’évapore, où tout s’enracine.   

Entre le néant et le chaos, nos chairs s’érodent, le consentement revêt l’apparence d’une collégiale familière. Nous sommes l’empreinte incisive des distances refondées au chœur d’un unique prisme. Comme l’oracle du temps, la pierre fondamentale a traversé les terres arides et les siècles de rudesse pour rejoindre la parole et le sang. Demain, s’ouvrira le jour sur nos chemins d’exode et l’on s’inclinera, à l’ombre de l’olivier, devant le jardin des mémoires. D’un seul nom nous franchirons la terre d’Alliance et l’océan où la vie frissonne et peu à peu s’éteint. J’entends frémir quelques notes de toi au ras des vagues du monde. A l’horizon, les frontières du soleil arasent mes derniers rêves. Je danse, mi-homme mi-dieu, sur le seuil usé par tous les pas inutiles. Gorge serrée et regard acéré, je tente l’aventure d’une corbeille de fleurs tout autour de ta silhouette.

Je t’écris du bout de mes paupières. L’ombre s’endort doucement au fond de l’allée. Sur ce banc de perles, maman et moi sommes venus pétrir la lumière. Tes yeux seront amandes et tes lèvres seront la cendre rougeoyante de l’amour.

Etat secondaire : dénivelés comateux, l’osmose me tue. La fusion en son point culminant devient une saillie dans la profondeur de mon être. Te dire « tu », mon fils, c’est outrepasser les passe-droits de mon égo. C’est anticiper biologiquement la masse cellulaire qui nous départage. Je suis seul de t’avoir fait et je m’édente d’un devenir aux courbes multipliées. Dévidé de je ne sais quels écheveaux taiseux d’étreintes mutines, je me parcelle dans un sentiment de désappartenance. Mais, bizarrement, cette étrangeté me conduit à la clarté. Des sources lumineuses remplissent mon caddie de feintes et de lignes polies.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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Commentaires
L
Tu es toujours la première servie. Je n'en ai pas reçu encore.<br /> <br /> J'ai du mal avec les définitions de poète et de philosophe. J'écris au plus près de mon cœur en fouillant dans mes tripes.<br /> <br /> Merci, belle amie.
S
J'aime beaucoup tes néologismes très évocateurs comme par exemple "fougassières". et tant d'autres.. Ce texte est tout aussi extraordinaire que les précedents. Tu es un poéte et un grand philosophe. A midi, j'ai trouvé avec plaisir ton livre dans ma boîte aux lettres.
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