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Bruno ODILE
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20 février 2015

Les masques sont percés

gouache_painting_2Les masques sont percés, les langues vidées et nos chairs volcaniques effacent peu à peu toutes les cicatrices. Aplani par la mort qui le précède et le suit, le jour, lui-même, est un enfant naissant. Il balbutie ses premiers frissons dans l’ombre souple où il s’enrobe. Il taille les petits bruits de l’aube dans la mémoire des nuits iconoclastes. Par ici, un oiseau chante sa venue ; par-là, la sève de l’olivier se remet en marche. Un peu plus loin, quelques graviers filtrent doucement la peau des premiers rayons. A l’intérieur de mes veines, remonte l’oxygène des premières brassées de vie. Tous ces riens flottants de l’habitude et du recommencement grimpent obstinément vers les cols de lumière.  

L’inertie n’est jamais loin et nous devons, chaque matin, laver nos esprits de la nuit bayeuse nous embrassant de ses lèvres d’absence claire. L’immobilité est transparente, elle ajoure la durée en attente. Elle brasse les idées et les êtres, elle compose en secret les premières volutes du mouvement. Nos pensées s’incarnent dans la froide atmosphère du silence. Je pense à toi et immédiatement le ronron des souffles vient bercer ton image. Tu t’animes à l’intérieur de moi, et aussitôt, la clarté occupe tes formes. Ta silhouette transperce l’immobilité ventrue et tes gestes réveillent le vide et le chasse à coups de volte-face. Alors, nos vies en sourdine commencent le déchiffrage des lieux.

L’illusion des marches accomplies et cette existence où rien ne s’achève véritablement, tout cela nous ramène aux racines de nos rêves. Aveuglés de présent, nous suscitons les revers des entrailles du monde. Nous diluons nos fresques individuelles dans la pataugeoire de l’immensité anonyme où l’univers se répète. Nos corps entiers accompagnent la cambrure. Horizontal et vertical s’échinent à se croiser sans jamais renoncer aux sens qui les dominent. Je monte la garde, mon fils ! Tu peux t’installer où bon te semble. Ta vie succède à la mienne, la franchit et la dépasse. Je suis dans tes marges, à l’affût de l’inconcevable. Je veille au déparement, au délabrement des tissus de nos âmes.   

Seule, la nuit dispose de mon sang comme tu le fais ; la nuit rose des heures en bouquets d’étincelles. Membre après membre, j’occupe le bois mort aux parfums de terre et de champignon. Je me charpente et me reconstruis par une multitude de rêves. Je me replante au sol de la réalité, cette foissonneuse de remparts et de digues propices aux voix édentées et aux paroles battantes. Je reste proche de toi, sans jamais te quitter. Nous sommes encordés au précipice des jours, mais en bon marin j’évite les naufrages. Je guette les vagues et fend la bise du large. A peine consultons-nous nos brèches que tes désirs t’emmènent déjà vers de nouvelles dunes. Mon farfadet, mon loupiot, soumis au rapt des vivants, tu immigres où te presse ton histoire.

Au petit matin, nos cœurs résonnent et nos voix portent l’appel jusqu’aux interstices de l’inavouable. L’amour chante parfois en sourdine l’immobile transparence qui nous traverse. Quand l’immensité saute à cloche-pied dans les rues voisines, tout le quartier retient son souffle. Notre vie d’amour est une prière qui déforme et reforme nos conjugaisons intimes. Saveur des liens du sang, nos solitudes se transfusent dans les entrailles vives de nos poings livrés au cadastre de nos pulpes retranchées. Notre amour tranche l’oubli gorgé de semences nouvelles. Nous sommes portés par l’horizon que nos paupières devancent. Tissés de chairs et d’archives, l’imminence de nos êtres dévore un présent se redressant de nos gisements.    

Comme un flot de syllabes, les saisons s’écoulent avec les rumeurs de perte et de gain. L’unité nous maintient auxiliaire l’un à l’autre et n’appelle pas à l’abolition de sa propre identité. La fusion de nos sangs n’est pas une épreuve rompant avec l’ipséité. L’important n’est pas la quantité de jour consumé, mais la qualité de la lumière qui nous traverse. Nos ressemblances outrepassent le voyage existentiel, elles distribuent la fidèle chaîne humaine par-delà la connivence incontournable de notre sang. Nous sommes les maillons animés de l’éparpillement. Nos gènes sont nostalgiques des châteaux de feu laissés dans l’éparpillement du brouillard. Pas nous ! Nous avançons et nous progressons vers la multitude, vers l’anéantissement de l’unité par le nombre.

Les masques sont tombés. Nos esprits inventent jusqu’aux frontières conférées par le grand Tout. Jusqu’où deviendrons-nous, jusqu’où serons-nous capables de repousser le silence qui nous fait corps ? De l’immensément grand à l’infini petit, l’arythmie mystique appréhende les sens à donner. Mystifiés, nous le sommes dès l’embouchure du jour. Dans notre crèche intérieure, les oies du temps voyagent d’un bout à l’autre de l’univers. Dans ma main, ce matin, pousse l’herbe que nous ferons sécher pour bâtir nôtre chaumière. La peur du devenir n’entrave plus ma raison d’être. Aucune illusion silencieuse ne saura terrasser l’authentique lien qui nous relie.   

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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