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Bruno ODILE
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Bruno ODILE
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28 avril 2015

Mon désert, c’est le regret des pays possibles.

images7PMF9MGYCellules à vif, sensibles et diffuses, propulsées dans le voyage pour devenir le voyage lui-même, tout mon corps est modelé par le typhon de l’expérience nocturne restée béante. Affûté dans l’obscurité par de grands songes filants, j’éprouve le désir de savoir et de sentir. Survivre est une petite mort, un laquais d’espérance coincé dans les bribes incertaines de l’acceptation modérée et du renoncement. L’autre qui me gratifie et me rejette, l’autre ce bout de moi-même répété à l’infini des hommes, c’est par lui que j’accède à mes soliloques les plus intenses. C’est à travers lui que j’émancipe la part cruciale de mon identité. L’autre, ce miroir d’entièreté inconquise, me saoule et me prive d’une liberté complète. Je lui en veux et souvent le remercie. Je chavire des instants de cascade à des moments aussi plats que le lac Léman. Ma solitude est une masturbation fraternelle, elle jouit à la lumière qu’elle recentre à l’intérieur de moi-même. 

La traversée de soi est le plus inconvenable des parcours. Evadé de je ne sais quel lieu de turbulence, je m’imbibe de je ne sais quel legs déterminé par avance. J’habite toujours le temps parcellé des soupirs d’ammoniaque et des fissures incolmatées. Dans l’écoulement progressif, mon attente est souvent vaine. L’orgasme successif de la matière ne résout pas l’arythmie résiduelle. Fluctuations quantiques du vide, il y a quelque chose d’inopérant qui me revient du néant. Me ferais-je la tête ? Serait-ce entre moi et moi ? Est-ce bien l’air qui me brosse ou bien est-ce moi qui le brise ?  Je regorge d’abstractions. L’imaginaire pourvoit aux barques qui me conduisent sur l’ile du bonheur submergé par l’indifférence d’une terre aux abois. Je flotte à contre-courant dans le bois creusé pour la survivance. Dans l’isolement, je vois mieux la beauté que je laisse. Ce monde écharpé et cette mire imposée m’obligent à nager à travers la tempête intestine.

Dans la pénombre, la fêlure silencieuse ne cesse d’ouvrir ses lèvres. Mon existence en macération, je bouillonne de flux lointains comme programmé pour céder régulièrement à l’affront des vagues hurlantes. L’aube me mâche et me hache jusqu’à la nuit. J’ai mal à mon sang, j’ai mal des impuretés qui vagabondent. Le jour suivant continue son travail de sape et tous les jours qui viennent semblent être du même élan borgne et sans scrupule. Je boude et me boude de ces constats larvaires qui me réduisent à n’être finalement que le spectateur médusé de ce défripement organisé. 

Chaque jour qui s’établit comme une promesse laisse filer un murmure d’épuisement. A regarder autour de moi, dans ce monde placardé sur les panneaux publicitaires, j’ai l’impression de ne plus pouvoir agir sur mon quotidien. Toutes les promotions qui vantent l’ivresse me noient dans le cheminement de l’image caustique. J’ai mal de vivre dans la proximité des égouts de la surconsommation qui m’accable. J’ai mal à l’embouchure des ventres vides et aux arrêtes acérées des squelettes vivants. Je suis malade de ce monde coincé dans les ornières d’une paranoïa ordinaire. J’habite la dépendance des douves par lesquelles s’écoulent les liesses fabriquées pour fêter, à date fixe, l’uniforme des mères, des pères et de la saint-Valentin.  

Evadée des sens, la joie s’en est allée. Elle court partout sur les trottoirs mouillés et les étagères parfumées. Elle se renverse comme une ombre matelassée, comme un enfant chétif tombé de son landau, comme un paradis perdu, un ange dans un bus défraîchi. Ripé à travers les soupirs embugués de peur, le visage joyeux promène sa gorge blanche parmi les fleurs qui se fanent. Alités au pied de la falaise, des troubles-joie se mêlent aux guirlandes des fêtes anciennes. Le charivari énonce l’angoisse vaincue, le stress martelé des complaintes restées sous la roche et dans les sanglots du vent. Que tout ce qui pleure s’enterre dans la tombe des promesses ! Que la ronce et l’ortie soient l’infusion des tristesses mortes ! Allons, si tu veux bien, nous asseoir sur la vague furieuse qui frappe la muraille et buvons à l’argile qui coule dans la graille emmaillotée où se dépouille la rancœur. 

Le néant que je martèle comme une pièce de fer n’a pas le goût du non-être. Il porte la conscience par-delà le moignon des pensées métalliques. Il crisse le vide comme la craie sur l’ardoise. Il rappelle le bruit aigu et strident des forges stériles, des manoirs vibrants dans la forêt, les soirs d’orage. Mon désert, c’est le regret des pays possibles. Partout où la joie de vivre quitte le cerceau du partage, l’espoir d’une main tendue oscille comme une flamme abandonnée. 

Le chaos résonne dans la chair du vent, l’automne n’est plus une saison, c’est un pays où se meurent les artifices. Comme un éclopé, je marche dans la nuit où chaque étoile est un morceau de boussole. Je virevolte d’un mirage à un autre. La vie et la nature se sont pliées, enroulées l’une à l’autre et, derrière l’écran où dort la lumière, je ratisse les champs embourbés de lueurs encloses. Je marche dans le rêve-parachute pour mieux toucher les boucles ensorcelées du réel qui me défigure. J’aboie dans le foin qui s’envole, je m’encanaille dans le sens limite des frontières extensibles où les poissons gazouillent et où les perdrix nagent dans les ravins de mon âme.     

Entre rage et démence, j’ai longtemps bercé l’ignorance qui sort de ma bouche. Mes yeux sont deux vautours au-dessus des charniers qui inondent la plaine. Ils planent entre les nuages d’anxiété et de volupté. Dans les mots lourds retenus par la nuit, j’entends s’épaissir le frisson aux lèvres fermées des comptines. Des chansonnettes filandreuses inséminées dans les mousses fiévreuses et foutraques de l’abandon bâclent l’ensommeillement de l’invisible folie. Au cœur de l’apocalypse, je trie l’évidence noyée dans le grand sac du hasard. Là où le silence rayonne, des miettes de vie jouent les troubles-faits. Je suis dans le jardin du monde, du côté des larmes sauvages, cloitré comme une nonne aveugle et tâtonnante. Je cherche l’issue. Mon existence est un reflux, un chant pieds nus aux flancs du sarcasme.

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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Commentaires
A
Pour moi, pas de regrets, tous les pays sont en nous ... Amitiés.
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