Migration vers l’amphore du temps.
Il était une fois, l’eau, l’air et la lumière. L’eau berceuse de vie, giratoire des migrations cellulaires, grand espace sans frontière blotti sous nos paupières de la première heure jusqu’à la fin des temps.
L’air, transparent et insoumis, estuaire de grandes suffocations, de transits ondulatoires, de bouffées d’écriture invisible, table de nuit des espaces illimités où le parfum prend racine.
La lumière, force inégalable, épanouissement de la matière, bleuissement des aurores naissantes, flammes palpitantes des aveux et des pardons, des regrets et des passions voltigeuses où nos âmes nues viennent boire à la vie.
Dans la maison du monde, il y a l’herbe et l’écureuil, le druide et le saltimbanque. Des odeurs de fruits et des couleurs solaires remuent leurs narines communes où chaque gorgée de temps accompagne la rasée de mots titubant entre désespérance et projet de vie insolite.
Dans le chemin qui s’ouvre à la marche, nous sommes un et un, innombrable, tous agrippés à la richesse du silence et aux tic-tacs cadencés de l’heure intérieure.
Le murmure intime s’écoute de loin, il s’improvise sur la portée des sons résonnant l’aveu de nous-mêmes.
Aux bords de la matrice éternelle,
les grains éclos du verbe Aimer
se bousculent comme une semence sauvage
aux mille racines possibles.
Le chemin se trace doucement comme un lit de rivière que la pluie engloutit. La vie avec soi, la route est ouverte.
Sentiers perdus et allées secrètes bourgeonnent sous les pas du marcheur. L’écho de la terre sous le soulier revendique l’aventure et la rencontre.
L’instant bleu, je l’ai attendu sans le voir ou bien je l’ai vu sans l’attendre, qu’importe ! Traversant l’onde légère, passager de l’instant, il a bleui un coin de ma mémoire. Lumière où le feu s’est ajouté, un éclair a suffi lorsqu’il a survolé les ruines ruisselantes déposées sous mon crâne.
La flamme d’une bougie danse au milieu de ma chair. Elle accrédite une mise au monde, une histoire incorporée à chaque corps dans son refrain de mouvements.
Un état de grâce providentiel convoque toujours la renaissance au bord des lèvres du jour. Sur le bout des doigts comme sur le bout de la langue, des harmonies s’accomplissent malgré les obstacles.
Un revivre efface de lancinantes souffrances d’être et des déchirements récurrents. Par sa relecture du monde, la lumière enfante l’immensité de l’aube avec l’obstination de nos voix et de nos confidences silencieuses. L’autre apparaît dans l’alliance et le défi par lesquels nous jaillissons du souffle de nos abîmes.
Etincelles parmi l’obscurité, nous crachons le recommencement célébrant la venue au monde. Passagers éphémères d’un destin illusoire, nous réinventons l’initiale de notre source première. L’accomplissement se poursuit dans le geste heureux d’une transhumance vers notre homonyme.
Semblables et différentes pour le regard étranger, nos boussoles humaines conduisent cette migration solitaire sur le miroir incandescent de la similitude.
Respirations contre respirations, nos voix se multiplient dans un cri commun où nos visages disgracieux s’effondrent.
Hier encore, les nuages traversaient les couloirs d’une existence esseulée
mais, à présent,
le couchant a déversé ses plumes charbonneuses
et la vallée verdoyante
laisse partout grimper la légèreté des jours de miel et d’illumination.
Hier, c’était l’heure restée à l’affût,
c’était l’observation saisie dans sa tranche immobile, c’était l’histoire d’un dialogue stoppé comme une ancre au fond de la mer.
A présent, je communique
sur les tempes d’un miroir
aux reflets vagues
s’interposant avec l’actualité remaniée.
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