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Bruno ODILE
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24 mai 2016

Aimer, c’est résister.

petit0017287001392308904La vague qui n’emporte pas restitue à l’océan les reflets du ciel. Les deux droites à la mer superposées s’éclipsent et se fondent l’une dans l’autre. L’horizon est un bouillon grumeleux devenu la charnière des temps liquides. C’est le vent qui retient nos visages. Nos faces sont détachées de nous-mêmes, elles remontent vers la blancheur têtue qui s’habille de la nuit. Les lèvres lapant la parole desserrée, la langue dans le brouillis d’époques lointaines revient comme un boomerang pour occuper nos crânes blanchis et lisses. Nous détrempons dans l’onomatopée fluctuante : 

 

Gzeux, aie, ouille, spling. Tout ce que nous avons bu et recraché, Gzeux, aie, ouille, spling, a rejoint l’eau.

Gzeux, aie, ouille, spling. L’eau sans âge, Gzeux, aie, ouille, spling, l’eau toujours nouvelle et identique à l’eau. 

 

Tout est inscrit dans la goutte. Mémoire génétique du futur installé là, ad vitam aeternam. On se déshabitue à vivre après chaque respiration. L’air nous transporte et nous passons. L’air nous transforme et nous voyageons. Nous sommes volatiles et nos suées se dissipent dans l’infiniment grand. 

 

La porte de l’air s’ouvre et se ferme. Nous sommes tamisés. C’est le filtre du vide qui choisit le néant grain après grain.

La distance s’effrite, j’ai coupé la corde. La ligne d’images calleuses s’est évanouie. L’air s’en est réjoui.  

 

La colline cherche ton corps. Son volume est troué par le manque devenu gaz en volutes. L’herbe inoccupée s’avachit comme une horloge défectueuse et résonne lourdement sur le mur d’en face. Descendue du ciel, puis rapportée, la lumière gêne les arbres qui se prennent par la main pour danser les saisons. L’air est droit, il te remplace. 

 

Dans la vallée, le ciel s’écarte comme des lèvres sous l’effet de la surprise. Il laisse passer ta silhouette frêle et colorée. Un sourire glisse jusqu’aux berges du Rhône. L’eau te contemple. Elle mime tes grimaces. Elle file, lisse et ronde, comme un miroir flottant. Sans toi. 

 

Un retour de sentiment éclate comme une grenade dans nos mains. Une poignée de couleurs te sépare du cyprès qui vacille sous la rafale du vent. La nuit blêmit de sa fausse couche tardive. Sous la pierre et dans notre refuge, le thym et la farigoule gargotent comme un civet de lièvre au fond d’une marmite de fonte. Dehors, tout est blanc d’une lumière aveuglante. Rien de ce qui peut être touché n'a de sens pour la caresse du vent. Quelque chose se râpe et mon cœur ne le sait pas encore. Une friction de la masse qui nous entoure irrite la paroi du vertige.   

 

J’ai dix ans, je dors dans la bûche qui crépite, je rêve d’oiseaux et d’écureuils penchés sur le hublot du bateau qui m’emporte. J’ai cent ans et je dépucelle l’ardeur de vivre dans les escoubilles remplies de reliquats impénitents. Je n’aime pas souffrir de la beauté qui pleure, je n’aime pas dégringoler la paroi verticale de l’absence. Et je cherche sous les pas du géant qui m’écrase, les empreintes du souffle de l’enfance perdue.  

 

J’ai peur en pensant à l’amour. J’ai peur de ceux qui disent « je t’aime » à tort et à travers, sans le penser ou sans ressentir le frisson qui décalotte la lueur du cœur lorsqu’il est ému. Il est si difficile de ramasser le timbre d’une voix sur les pierres noires de la nuit. A la limite de l’angoisse, de la prière et de l’accord, l’émotion se retrousse comme une jupe et le partage s’effectue sans que l’on sache la quantité d’air qui nous pénètre. Sans que l’on devine la quantité de lumière qui essuie nos ombres.

 

Est-ce que le tonnerre redoute la foudre, lui aussi ? J’écoute jusqu’à être vraiment sûr, sans jamais l’être vraiment. Il pleut et fait soleil en même temps : c’est un temps de chiffon, un temps à démâter l’absence qui fait encore pousser en moi ses ardentes gerçures.     

 

J’ai aimé sans mourir. J’ai aimé tes yeux noirs et tes boucles de cheveux en cascades. Ma sœur, ma similitude disparate, mon écart, ma doublure. Tu es ce reflet de fournaise replié dans le miroir où s’emmure la fureur ensanglantée de la passion. Je t’aime dans la survivance immunisée de toutes caricatures pastichées. Odile, ton prénom est un vaccin. Ton prénom est une dispense à la fourberie des étincelles qui se cassent comme du verre. 

 

Aimer, c’est pénétrer la nuit confuse de jouissance.  Aimer, c’est se défaire de sa solitude pour plonger dans celle de l’autre. Aimer, c’est déjà un peu mourir dans le ravissement des ombres pour y déloger la lumière tue.

 

Aimer, c’est résister. Nos certitudes sont des geôles de routine. Nos ego sont des enfers. Nos ego sont nos sauveurs. « Je » est un pitre qui se joue de nous. « Je », c’est moi qui voudrais ; c’est moi, écrasé par la lourdeur qui dépote le ciel de son horizon vaseux.   

 

Sous la clarté de nos chemises, sans que rien ne bouge, des bouffées de vie refluent de la forge où la mort rayonne. Aimer, c’est croire ne plus être seul. C’est donner à l’absence le goût de l’absinthe ferrugineuse et c’est vivre dans le déchiqueté des relents cupides. C’est accomplir une course limpide dans la ferveur spontanée, là où tous les fleuves se jettent à l’embouchure du péril. 

 

Je ne saurais fragmenter le souffle de ton absence pour combler le vide et tarir le néant. Mon histoire et mon vécu réfléchissent les taches cachées derrière le soleil. Tu es seulement cette passante, cette intruse dans mon jardin et si je flanche encore à vouloir te réanimer par mes tentatives bruyantes et anarchiques, je sais néanmoins que tu es maintenant lointaine et inaccessible. Je sais que je creuse des galeries pour te rejoindre, je sais que ma pioche est un outil à doubles pointes. Malgré tout, je suis debout dans les ténèbres, cherchant un équilibre avec le vide. Mais, nos jours se rétrécissent et la terre est devenue un caillou sur le clin d’œil de l’abîme. Je t’éprouve dans une solitude tendue comme la corde d’un arc et tu te dissipes comme une prière mille fois répétée. Ici, l’émotion est vaine. C’est la nullité et le vide jusqu’à la mort.    

 

Tu te promènes partout où je cherche les lumières endormies aux creux de l’obscurité. Tu es la voix renâclante des angoisses de mon corps. Tu voyages sur les quais de mon front comme une égérie galbée se propage dans les reflets de l’eau. Tu es la cicatrice de la nuit qui n´en finit pas de se rouvrir sous des soleils fatigués. L’avenir se borne à la couleur de tes yeux et le passé devient une rose séchée où s’endorment les adieux. 

 

Le temps a fait le grand écart sans se rompre, il s’est tordu les chevilles, il boite jusqu’à nous. Quelques heures se sont enfermées sous le couvercle de nos voix. Une porte s’ouvre sur la saison où la résine sent fort. La vie, dans son dépôt d’accessoires ferreux, rappelle le bruit des casseroles que nous trimbalions sur nos épaules. Nos rires étoilés ne savaient rien de demain. Nous étions bien. Nos projets ont déraillé sur l’aube. Deux traits parallèles se sont enfoncés dans le sol en mangeant la poussière. Nous ne possédions pas grand-chose et nous le savions. La moiteur d’un printemps s’est oubliée sur nos visages. Nos cœurs se sont transformés en des nids pour les hirondelles. Un peu d’herbe et des branchettes fument encore à la fin de chaque nuit.  

 

- Bruno Odile - Tous droits réservés ©

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Commentaires
S
Avoir quelqu'un à aimer comble une partie du coeur mais malgré tout, pour certains, il reste encore une part de solitude que rien ne pourra combler..
L
Lorsqu'on aime quelqu'un la solitude n'existe plus !
S
Et pourtant, nous sommes si seuls..
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